mercredi 31 décembre 2025

Page 66 - « son boulot effectué il rentre tranquillement à la maison. »

Son boulot effectué il rentre tranquillement à la maison. Comme toujours il est harassé par les mouvements répétitifs effectués à la chaîne, il n’en peut plus d’accrocher des portières sur les armatures de voitures qui défilent devant lui. Il aimerait juste pouvoir s’asseoir sur le canapé en arrivant et passer la soirée devant la télévision comme ses potes. Mais le vendredi soir, Irène rentre du collège. Irène, c’est la fierté de Paul, elle est la seule de la fratrie à avoir réussi à l’école. Sa sœur et son frère étaient partis travailler à l’usine, comme le père, dès qu’ils en avaient eu l’âge. La veille du week-end la mère préparait un plat roboratif, ce soir un petit salé aux lentilles, et toute la famille était réunie autour de la grande table de la cuisine.

Toutes les semaines se ressemblaient sauf pour Irène qui avait toujours quelque chose à raconter. Elle était la meilleure de sa classe, on l’avais obligée à faire anglais-allemand-latin. Elle aimait ça contrairement à beaucoup de ses camarades. Elle raconta que lors des derniers cours de latin, on avait lu et traduit des textes qui parlaient d’oies du Capitole qui avaient été épargnées malgré la disette et qui avaient alerté les Romains que les Gaulois marchaient sur la ville, de la louve qui avait nourrit Rémus et Romulus… C’était donner de la confiture aux cochons, ajouta-t-elle, ce qui fit rire toute la tablée comme les collégiens avaient ri quand le professeurs avait terminé l’histoire de ces fameuses oies. Elle n’en pouvait plus de cette ambiance tant à la maison qu’à l’école.

On ne sut pas si c’étaient ces moqueries qui avaient fait déborder le vase ou si le feu couvait depuis longtemps sous la cendre… toujours est-il que le lendemain matin, elle s’est levée de très bonne heure. Sans que personne sache pourquoi, elle est descendue à la cave où l’on gardait les confitures faites par sa mère au fil des saisons, en a déposé une dizaine de pots dans la brouette qu’elle avait amenée en haut de l’escalier. Elle s’est ensuite dirigée vers le pré boueux dans lequel son père parque les porcs qui seront tués à l’automne prochain et dont la salaison sera partagée avec la famille et les voisins. Elle s’installe près de la barrière et dévisse un par un les bouchons des pots et lance leur contenu aux cochons qui sous son œil interrogateur restent indifférents.

Décidément, c’est bien vrai, ça ne sert à rien de donner de la confiture aux cochons, pas plus que ça sert à quelque de vouloir apprendre quelque chose à ceux qui n’en ont rien à faire, qu’ils soient des élèves indisciplinés ou une famille qui se focalise sur sa vie quotidienne sans chercher à s’ouvrir l’esprit.

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Didier Daennickx – Meurtres pour mémoire – Belin (Classico collège)

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