Chevets
Comment
s’étaient-ils rencontrés ?
Par
hasard, comme tout le monde.
Comment
s’appelaient-ils ?
Que
vous importe?
D’où
venaient-ils ?
Du
lieu le plus prochain.
Où
allaient-ils ?
Est-ce
que l’on sait où l’on va?
Que
disaient-ils ?
Denis
Diderot, Jacques le fataliste (Incipit)
Comment
s’étaient-ils rencontrés ?
Ils
s'étaient rencontrés sur le Rivage, lieu unique du croisement
de l'eau, du ciel et de la terre, le derrière soi et le devant soi
séparés par le fil incertain du mouvement des vagues et des pas, et
par le trait droit de l'horizon toujours menacé par les humeurs du
temps et de l'être,
à
croire que tout est à tous miracle et merveille et tombe des nues
(Guy Goffette)
Comment
s’appelaient-ils ?
Ce
pourrait-être moi ? Ne parlons pas de lui qui, selon
moi, pourrait être plusieurs — je n'ai pas la mémoire des
noms. Au quotidien, je consulte un manuel de gymnastique
photographique pour entraîner le souvenir en défaillance :
Utilisez
les accumulateurs immédiatement après leur charge. Les
accumulateurs peuvent perdre leur charge s'ils restent inutilisés.
(D7000)
Que
vous importe ?
Diable
d'homme, drôle de bougre, sacré Denis qui pose les questions
pour esquiver les réponses sous la forme d'autres questions. À le
lire, pardon pour ces irrévérences, je crois entendre les questions
sans fin des enfants, de 7 ans forcément, qui jouent sous mes yeux
sur la plage en construisant châteaux de sable, et le parent-mentor
lassé de répondre «et pourquoi, et pourquoi ? et pourquoi quoi ?»
Working
on the edge : travailler sur le fil du rasoir, terme utilisé pour
parler de la pêche au crabe. (Catherine Poulain)
D’où
venaient-ils ?
De
tabernacle en tabernacle, la réponse semblait identique pour l'un(e)
comme pour l'autre nous épargnant ainsi la difficulté d'un semblant
de dialogue sur l'origine, affalés dans des chaises longues
inoccupées — mais tournées vers une tente en tabernacle
qui venait masquer tout espoir d'horizon.
[...]
ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux
tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses
deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents un
front cartilagineux d'insecte, Moi ?... (Claude Simon).
Où
allaient-ils ?
Nul
pas même moi ne le savait. Mise à part la certitude qu'un jour il y
aurait une dernière nuit sur terre. Et parce qu'à ce moment là,
face à la mer, je pensai à Marthe dans sa baignoire (depuis
Villers-sur-mer souvenir du Canet).
Madame
flottait dans sa baignoire devenue trop grande comme le bouchon sur
la vague. (Didier Goupil).
Est-ce
que l'on sait où l'on va ?
Mettons-donc
de côté la question de l'ultime ou du dernier. Je, on, ils avancent
masqués à la recherche de... Ici sans nul doute la réponse ne peut
être impropre. Il s'agit de chacun. Avec les outils reçus et
les outils forgés il faut bien creuser la terre, ratisser le sable,
malaxer la matière. Je songeai à l'énergie de Louise, ce petit
bout de femme, dans son sacré combat pour imposer sa dignité.
Comme
convenu, j'appelle Louise Bourgeois pour lui dire au revoir et
l'assurer que tout va bien. [...]. Non je n'ai pas oublié son
masque. Je dis «son masque» sans y penser. Oui je l'ai bien
emballé. Il arrivera sain et sauf. Non je ne sais toujours pas à
quoi m'en tenir avec lui. Au moment de nous quitter, Louise Bourgeois
hurla à l'autre bout du fil : Cela n'a rien à voir avec la mort ou
avec les beaux-arts ! Les masques ont assez de force pour leur
résister. (Xavier Girard).
Que
disaient-ils ?
Elle
parlait de Barthes et aussi de poésie.
La
voix de Barthes me conduit vers un dernier Haïku («mais non
ultime», il est du grand Bashō, je le connais par cœur :
Comme
il est admirable
Celui
qui ne pense pas «la vie est éphémère»
En
voyant un éclair
La
nuit est vaste, splendidement étoilée, la mer est tranquille. Je
suis tranquille moi aussi, tout peut commencer, tout est clair à
présent. (Colette Fellous).
*
*
*
Il
ne répondit rien. Il regardait dans le ciel le tout premier éclair
qui annonce l'orage. Plongé dans ses pensées, ou peut-être
s'agissait-il des prémisses d'un trouble ?
Une
stéréotypie idéo-comportementale (...). J'aime les catastrophes
aériennes parce qu'elles répondent toujours à une logique précise
qu'on peut découvrir d'après des indices parfois ténus ; et j'aime
le scrabble parce qu'il ravale à l'arrière-plan la question du sens
des mots et permet de faire autant de points avec «asphyxie»
qu'avec «oxygène». (Emmanuel Venet).
______________________________
Sur
ma table de chevet, il y a quelques piles de livres d'où sont
extraits, dans l'ordre des 7 questions de l'incipit,
7
excipit, en italiques :
Guy
Goffette, Petits riens pour jours absolus. L'usage des villes (une
prière), Gallimard, p.108
Nikon,
D7000, Manuel d'utilisation, p.321
Catherine
Poulain, Le grand marin, Editions de l'Olivier, p.373 (merci à
Elisabeth Lamiscarre)
Claude
Simon, Histoire, La Pleiade, p.416
Didier Goupil, traverser la
Seine, Le serpent à plumes, (fin non paginée)
Xavier
Girard, Louise Bourgeois, face à face, Seuil, p.160-161, merci
Xavier.
Colette
Fellous, La préparation de la vie, Gallimard p.202, 203
et
Emmanuel
Venet, Marcher droit, tourner en rond, Verdier, p.28 (citation dans
le corps du texte)
Tout
ceci n'est qu'un jeu, un exercice de style.
Mais
tout est véridique, à commencer bien sûr par la pile de livres.
--------------------
François
Bon
a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque
mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par
Brigitte
Célérier
; Angèle
Casanova
a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle
depuis bientôt un an.
Aujourd’hui,
j’ai donc le très grand plaisir de recevoir Hélène Verdier pour
ces Vases Communicants et de publier son texte sur La dilettante.
Nous avons choisi d’écrire chacune à partir d’une photo de
l’autre en écho à l’incipit du « Jacques
le fataliste » de Diderot.