vendredi 25 juillet 2025

De l'ombre à la lumière...

Tu t’es parlé comme à un être cher...

Chère Marie-Noëlle,

Écrire ou ne pas écrire, telle serait la question. Pourquoi tu veux écrire ? Qu’est-ce que tu veux écrire ? Tu entends souvent des auteurs et des écrivants dire que c’est vital pour eux. Ça ne l’est pas pour toi. Est-ce que c’est grave ? Sans doute pas.

Est-ce que tu veux écrire quotidiennement ? Non, tu ne le peux pas. Tu n’es pas du matin et souvent le soir, tu as dépensé au travail tout ton « temps de cerveau disponible ». Tu ne veux pas qu’écrire soit un devoir à faire le soir après l’école, encore moins une corvée qui s’ajoute aux autres. Tu pourras le faire dans quelques années quand tu n’auras plus à travailler si tu veilles à ne pas le remplacer par d’autres contraintes, je te connais bien tu sais. Tu vas écrire quotidiennement au fil de ce défi, c’est possible donc, oui mais est-ce que c’est ce que tu veux vraiment ? Bien sûr, comme tu l’as écrit à ton amie imaginaire il y a quelques jours, tu vas faire en sorte d’arriver au bout de ce défi mais si pour une raison ou une autre tu sautes un jour, une consigne, tu abandonnes en chemin, ce n’est pas grave non plus, tu vas bientôt avoir soixante ans , tu n’as plus besoin d’être la bonne élève que tu étais dans ton enfance et ta jeunesse.

Alors plutôt que de te mettre la pression, laisse ton âme et ton cœur accueillir ces moments où tu as quelque chose à dire, quelque chose à écrire, du temps et l’esprit de le faire. Tu as si peur de tout ce qui n’est pas prévu, de tout ce qui n’entre pas dans ta routine et déborde de ton quotidien que tu mets des limites partout, que tu t’enfermes dans les habitudes. Est-ce utile d’en créer une nouvelle avec et autour de ce temps d’écriture, tu ne le crois pas toi même, alors laisse tomber ! Reprends plutôt le temps de regarder et d’écouter ce qui se passe autour de toi, de laisser venir l’imprévu et l’inattendu, ça te réconfortera et ça nourrira ton écriture.

Tu dois écrire quand tu en as envie, tu peux écrire ce que tu ressens à la lecture d’un livre et le partager même si tu n’es pas critique littéraire. Tu peux écrire sur une œuvre d’art même si tu n’es pas critique d’art. Tu peux n’écrire qu’à partir de toi, de ton expérience, eh bien, c’est très bien comme ça. Tu puises trop dans le passé et ne te tournes pas assez vers l’avenir, ça tu pourras le faire évoluer au fil de l’écriture, tu en es capable. Tu veux qu’écrire te fasse avancer et t’épanouisse… alors va à ton rythme, écoute la sève qui monte en toi. Tu dois te faire confiance, enfin. Tu dois recommencer à regarder la vie autour de toi. Tu dois continuer à lire ces auteurs dont l’écriture trouve un écho en toi, ces textes qui sont des « miroir[s] qui se promène[nt] sur une grande route. Tantôt il[s] reflètent à [tes] yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. » Ces textes qui disent si bien ce que tu ne pourrais pas dire mieux, qui explosent en toi comme des grenades, qui te consolent mais aussi ceux qui te distraient et te reposent. Et si tu n’écris pas, ce n’est pas grave ; si tu écris seulement pour le plaisir et pour le partage, ce n’est pas grave non plus.

Au début de cette lettre, tu as hésité à mettre « chère » devant ton prénom… eh bien, tu vois, c’était une bonne idée puisque tu t’es parlé comme tu l’aurais fait à un être cher, tu t’es parlé avec beaucoup de sincérité et de bienveillance. Tu n’en as pas l’habitude mais tu verras, à l’avenir tu seras moins sévère et intransigeante avec toi. Tu te lâcheras la bride...

Va où le vent te mène,

N’aie pas peur, je suis là près de toi,

Marie-Noëlle

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Est-ce qu’elle sous-entend encore aujourd’hui...

- Oh, salut, comment tu vas ? T’es en vacances ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Par hasard, je croise Nadine dans la rue et comme d’habitude, elle a l’air pressé, pose des questions sans attendre une réponse mais aujourd’hui, elle s’arrête quand je lui dit :

- Bonjour. Je suis en congé mais pas encore vraiment en vacances. Je suis ici pour rendre visite à ma sœur qui est hospitalisée.

- J’savais pas qu’elle était malade.

- Elle est de nouveau en hôpital psychiatrique… alors avant de partir au bord de la mer, je viens passer quelques heures auprès d’elle. Après, j’retournerai chez moi puis je partirai en Normandie ou en Bretagne. J’ai besoin de me poser d’autant plus que pour cet été, je me suis inscrite à un défi d’écriture, j’écris tous les jours.

- Ah, bon, je ne savais pas que tu écrivais, tu écris quoi exactement ?

J’ai envie de lui répondre « Comment tu saurais, tu n’écoutes que toi... » mais je me retiens, si j’arrive à lui parler de mon projet, il existera un peu plus.

- Tu te rappelles les cahiers que je remplissais de citations, ces cahiers dans lesquels je recopiais mes poèmes préférés, ceux que je lisais dans les Poètes d’aujourd’hui empruntés à la bibliothèque ou au CDI.

- Oui, on a toutes fait ça quand on était au lycée mais on a arrêté, je ne vois pas où ça peux te mener.

- Moi, des cahiers comme ceux-là, j’ai continué à en remplir, moins de poèmes recopiés, plus de citations ; et puis, petit à petit, j’ai commencé à y noter mes propres bouts de textes.

- Ça m’étonne pas, on te trouvait bizarre déjà à l’époque (est-ce qu’elle sous-entend, encore aujourd’hui), tu restais chez toi, tu passais tout ton temps à lire et à écouter des chansons intellos ou engagées plutôt que d’aller en ville pour faire du shopping (je me dis qu’en ce temps-là, on disait lèche-vitrine, pas shopping), dans les booms pour draguer...

- Finalement, je n’ai pas beaucoup changée, tu sais. Après les cahiers, il y a eu un blog dans lequel j’ai partagé des textes avec des anciens amis ou connaissances, parfois sans le savoir, et avec des inconnus dont certains sont devenus mes amis dans la vraie vie.

- Ça m’intéresse, tu m’enverras le lien par SMS.

- Oui, si tu veux (je sais bien que je ne le ferai pas et qu’elle aura oublié très vite notre conversation). Tu sais, j’ai souvent pensé à réunir ce qui était amassé dans ces cahiers dans un livre qui compilerait tous ceux que j’ai aimés, toutes les phrases qui m’ont charmée ou révoltée, tous les poèmes qui m’habitent et me hantent.

- C’est bien le mélange des genres, c’est bien le chant en canon mais là, franchement, tu imagines le gloubi-boulga que ça donnerait.

- Je le sais bien, c’est pourquoi j’y ai renoncé (sourire). Pour l’instant, je ne me vois pas écrire un roman, des nouvelles peut-être, mais surtout, je voudrais faire quelque chose de concret, un livre peut-être plusieurs en partant des textes que j’ai publiés sur le blog.

- Un livre, ça veut que tu voudrais être publiée ?

- Oui, pourquoi pas ? Tu sais, ça s’rait pas un gros livre, juste un petit livre fait de flash-back sur ce qu’a été notre enfance et notre adolescence ici. Un livre sans concession et sans faux-semblant mais surtout où je ne dirais rien qui puisse blesser quelqu’un que j’aime.

- Tu vas te planter, tu es bien placée pour savoir que ce qui marche, c’est le grand déballage, les règlements de compte, les dénonciations...

- Je t’arrête tout de suite, oui, ça je l’sais mais je n’en veux pas. Je voudrais juste un recueil qui passe du clair à l’obscur, de l’ombre à la lumière, du rire aux larmes !

Elle regarde sa montre. Je lis dans ses yeux que je suis restée pour elle l’adolescente rêveuse et bizarre que j’étais il y a plus de quarante ans.

- Bon, faut que j’y aille là. Bonne chance et peut-être à une autre fois sur les rayonnages d’une librairie.

Je sens l’ironie dans cette phrase, dans sa voix…

- Au revoir, à une prochaine fois peut-être.

Je la regarde s’éloigner et reprendre son shopping.

Avant de me rendre à l’hôpital où les visites ne commencent que dans une heure, je m’assied à la terrasse d’un café pour attendre. Je pense au défi estival auquel je me suis inscrite, je pense au groupe Whatsapp des participant·es où règne l’attention et la bienveillance. Je n’enverrai pas le lien par SMS à Nadine.

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Textes écrits avec Les Mots dans le cadre du défi de l’été 2025 : « du petit plongeon au grand bain ». « Semaine 2 : On mouille le cou, pour fouiller ses obsessions d'écriture et trouver son sujet  ».

Jour 10 : Écrivez une lettre à l’écrivant que vous êtes. Lola Lafon a un document (elle en a beaucoup en plus de son texte) dans lequel elle se parle à elle-même, où elle fait se rencontrer celle qui ne sait pas encore écrire et celle qui veut écrire. Écrire ce qui hante et de quoi ça parle, l’écrire frontalement.  Si ça vous semble bizarre, tout va bien. Si vous trouvez ça ridicule, vous allez être surpris. Cela permet de poser les choses en face de soi, de les extraire, et écrire les fait exister. Écrivez à l’écrivain que vous voulez être, posez lui des questions, dites lui clairement ce que vous voulez, oser avouer le pourquoi de votre écriture.

Jour 12 : Imaginez une conversation, un dialogue avec quelqu’un à qui vous devez expliquer ce que vous voulez écrire et qui ne comprend pas. Il s’agit bien d’une conversation donc d’un langage parlé, oral (vous allez ainsi pouvoir découvrir la difficulté du dialogue, mais peu importe la forme, c’est le contenu). Le but de cet exercice est de tenter de mettre en mot ce que vous voulez raconter, d’imaginer la contradiction, la conversation qui oblige à affirmer et préciser.

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