vendredi 7 octobre 2016

Vases Communicants du 7 octobre 2016 : Invitée : Lanlanhûe







En levant la tête, elle a croisé son regard. Impossible d'aller plus haut sans se faire drone, et regarder dans les yeux, la pierre étrange. Animal improbable. Sculpté par le temps. Face à l'océan.
Elle : Je suis en avance.
Gargouille : Il est des jours où le temps ne compte plus.
Elle : J'ai rendez-vous.
Gargouille : Avec... ?
Elle : Je ne sais plus, j'ai oublié.
Elle est assise devant l'église, sur la borne de pierre près de l'entrée.
Gargouille : Le temps semble long surtout quand on regarde l'horizon. L'espace étire le temps, ce qui fait qu'il n'est plus ni linéaire ni circulaire. Il devient volume et la vie s'y déploie. Tu as remarqué ?
Elle : On pourrait partir.
Gargouille : Où çà ?
Elle : Je ne sais pas.
Gargouille : Pourquoi partir ? Il fait si doux ici...
Elle : Histoire de voir d'autres horizons, de voir le temps doux, le temps dur, le temps chaud, le temps froid et tutti quanti...
Gargouille : De toutes façons je ne peux pas, mes attaches sont ici. Tu as vu la pierre d'où je sors ? Et puis tu ne trouves pas que la vue est quand même belle d'ici ?
Elle regarde la rue pavée. C'est l'ancien quartier de la ville. Le soleil s'y cache. Entre deux murs. L'on peut entendre le bruit des vagues contre les rochers.
Elle : J'ai froid.
Gargouille : Marche un peu...
Elle : Je ne vois que le cimetière au dessous de toi.
Gargouille : Promène toi. Dans le jardin, ils ont planté des rosiers et puis des carrés de buis. Ils ont nettoyé les allées.
Elle : Qu'est-ce qu'ils y ont mis ?
Gargouille : J'ai beau me pencher je ne vois rien d'ici.
Elle : Verveine citronnelle, romarin, marjolaine... il y a autre chose aussi... lavande peut-être.
Gargouille : Et les tombes... Tu vois leurs noms ?
Elle parcourt les allées. Examine une à une les pierres. Les contourne. Peu de fleurs fraîches en cette saison. Seulement des potées en céramique qui en miment les couleurs.
Elle : Ce ne sont que des noms communs.
Gargouille : Des noms de par ici ?
Elle : Oui, des noms de vieux métiers, de lieux-dits...
Gargouille : Avec le temps, rien ne tient, tout s'efface.
Elle : Et tout s'en va ?
Elle fait mine de chanter...
Gargouille : oui, loin, loin, loin, par delà les frontières.
Il fait mine de l'accompagner... La bouche tendue vers le ciel, il hulule. Elle cligne des yeux. Elle accommode et voit soudain un détail.
Elle : Tu as vu ton bras ?
Gargouille : Il s'est cassé à force d'intempéries.
Elle : Alors ils te l'ont rabouté avec du zinc ?
Gargouille : Oui, il chante deux sons à la fois quand il pleut.
Elle : Tu te crois diphonique ?
Gargouille : Je m'amuse parfois tout seul, par jour de grand vent. Je les fais résonner.
Elle : Tu crois chanter par le bras ?
Gargouille : Tu peux ne pas me croire...
Elle : Tiens, tu pleures ?
Gargouille : Ce n'est rien, ce n'est que la pluie qui coule sur mon visage.
Elle : C'est ce qu'on dit. Cela doit t'arriver quand même d'être triste, depuis le temps que tu es coincé là.
Gargouille : Quand on n'attend plus rien. On est léger. On n'est plus triste.
Elle : Qu'est-ce que tu attendais... avant de ne plus attendre ?
Gargouille : Je ne sais plus...
L'hiver avance. Elle avait cru entendre des voix. Elle avait tendu l'oreille. Cristal de roche et de zinc. Le vent est arrivé. Il a amené ses dialogues absurdes, ses histoires hallucinées. Il y avait encore bien d'autres gargouilles au haut des murs.

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François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle depuis bientôt un an.


Aujourd’hui, j’ai donc le très grand plaisir de recevoir Lanlanhûe pour ces Vases Communicants et de publier son texte sur La dilettante. Nous avons choisi d’écrire chacune sur le thème de la gargouille.


Je la remercie d'accueillir mon texte « Sentinelle de granit » sur « Rencontres improbables ». Appréciant les photos et les textes l'une de l'autre depuis longtemps, la nôtre ne l'était indubitablement pas.






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