©
Marie-Noëlle Bertrand ; d'après Ettore Scola :
Janet
Âgren dans « La plus belle soirée de ma vie » |
J'ai
sonné… J'imagine sa surprise derrière la porte… il regarde par
le judas, je le sais, un peu de lumière l'espace d'un instant, avant
qu'il n'y colle son œil. Ça faisait vingt ans que j'attendais ce
moment. Quand j'ai appris qu'il était sorti de prison, tout se sait…
ça a été facile, j'ai encore des amis, moi...
Il
ouvre, je lui sers mon sourire le plus caressant mais cette fois il
n'est pas dupe. Il est vraiment devenu une loque, Gilda me l'avait
bien dit, mais là, devant moi, il n’est que l’ombre de lui-même,
le fantôme du séducteur qu’il était.
Il
s’efface pour me laisser entrer et m’invite à m’asseoir dans
la cuisine. Je jette un œil dans la chambre en passant… le lit
défait, les boîtes de pizza abandonnées, la bouteille de whisky bon
marché à moitié vide. Il m’en propose un de whisky, avec de la
glace, comme au bon vieux temps. Il revient avec l’infâme breuvage
et prend deux verres dans le buffet.
Quand
il se retourne, je braque un .38 sur lui. Ça,
ça n’a pas été facile mais j’ai encore des relations qui se
souviennent de qui je suis, enfin de qui j’étais la fille et la
sœur. Son regard, entre stupéfaction
et calme. Il ne s’y attendait pas. S’il savait que je viendrai un
jour, il devait être persuadé que ce serait pour discuter.
Discuter, une sale habitude qu’il me reprochait âcrement il y a
vingt ans. Il
pose les verres entre nous deux. Il tire le tabouret de sous la table
et s’assoit en face de moi. Sans rien dire.
J’apprécie
le poids du revolver dans la paume de ma main. Lui loger une balle
entre les deux yeux, tout de suite, pour en finir avec toute cette
souffrance qui pèse sur chacun de mes jours, sur chacune de mes
nuits quand, même abrutie par les somnifères, je nous revoie tous
les quatre dans le jardin de la grande maison. Je suis hantée par le
mensonge dans lequel nous baignions en ce temps-là.
Le
moment de vérité approche. Je ne dis rien, lui non plus… Il
attend juste que j'appuie sur la détente. Qu'il ne compte pas sur
moi pour lui rendre ce service. S’il veut en finir avec la vie, il
n'a qu'à se démerder. Il m'a déjà manipulée, je croyais alors en
mon pouvoir de séduction. Il s'est servi de moi pour les
atteindre.
Quand
j’ai compris que ce salaud s’était servi de moi pour remonter
jusqu’à eux, je n’ai pas hésité. Le désir qui aimantait mon
ventre à sa queue s’est évanoui. Je suis allée au commissariat
et là, j’ai tout déballé. Il a fini en prison et moi sans mes
hommes, je me suis effondrée. On m’a enfermée aussi, à l’hôpital
psychiatrique. Après quelques années, j’ai réussi à donner le
change ; ils ont cru que j’étais sortie d’affaire, comme si
j’avais été à même de me sortir d’affaire. Je suis rentrée
chez moi, dans la grande maison désormais vide et j’ai patienté.
J’veux
juste qu’tu saches que je pourrais le faire, ici, maintenant.
J’aurai juste à appuyer sur la détente mais j'vais pas t’faire
cette
faveur,
j’vais t'laisser là, à croupir dans ton taudis, qu’tu crèves
rongé d'alcool et de solitude.
porte qui se referme
verre qui tombe par terre
sanglots
fondu au noir
claquements de talons sur le carrelageporte qui se referme
verre qui tombe par terre
sanglots
Surprise totale! Je ne m'attendais pas à cette suite....Bravo! :-)
RépondreSupprimerMerci. En fait ce n'est pas vraiment une suite, plutôt un point de vue différent, un écho... Bonne soirée.
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