La
maison et le jardin de l’enfance, pas L’Éden, juste un paradis perdu. Trois ans
après que mes parents en sont partis ensemble pour l’EHPAD, trois ans après les
y avoir conduits, trois ans après avoir tout déménagé, j’y reviens. Maman a
gagné les chemins du ciel, Papa arpente maintenant ceux de la terre dans un
fauteuil roulant.
Descendre
du bus que j’ai pris après lui avoir rendu visite. Remonter la rue Niépce. Un
quartier en train de mourir, des fenêtres closes, des volets fermés. Des
maisons à l’abandon. Retarder le moment d’y arriver, fermer les yeux... la
porte de derrière, sauter à pieds joints l’escalier d’une seule marche, riper
dans les graviers. Respirer le seringa, mon enfance entièrement contenue dans
son odeur, qui sépare notre maison de celle jumelle des voisins. Quelques pas
vers la cabane, trois armoires contenant conserves et confitures, ustensiles de
cuisine et linge de maison peu utilisés, nos vélos calés les uns contre les
autres, traverser la cour de derrière, longer le garage en bois, à droite le
jardin de mon père.
Il
est comme une carte qu’il me suffit de déplier pour me remémorer les couleurs,
les parfums et les goûts de l’enfance. S’il ne fut pas toujours un paradis,
c’est pourtant l’image que j’en garde, que je garde de l’enfance. Tant des
photos qui emplissent les cartons que j’ai emportés chez moi ont été prises
dans ces allées. Des premiers pas de mon frère à la chasse aux œufs de Pâques
de mon neveu en passant par la famille réunie pour les communions solennelles.
Rouvrir
les yeux, marcher, j’y suis. Face à une maison même plus emplie d’ombres, une
coquille vide, aveugle et muette. Face à la porte de devant, celle qui ouvrait
sur la rue, vers laquelle on se précipitait au premier coup de klaxon de la
boulangère qui faisait sa tournée dans la cité ou pour ouvrir dès qu’une ombre
se dessinait derrière les vitres opaques, c’était la porte des visites. Tous
les volets sont fermés sauf ceux de la grande chambre du haut, pour laisser entrer
un peu de lumière, de soleil peut-être. Parce qu’elle est au-dessus l’escalier
qui descend à la cave, c’est la plus difficile à atteindre -pourquoi faire
d’ailleurs, plus rien à voler, squatter peut-être.
Le
garage, je savais pourtant qu’il n’était plus là, mon frère avait dû le
démonter et emporter le bois à la déchetterie, il ne reste qu'un rectangle de
terre noire délimité par les moellons qui en étaient la base. Les carrés de
jardin complètement dévastés, de la terre a été volée, plus de rosiers, plus de
framboisiers, plus de serpolet, plus la moindre de ces herbes qu’on dit
mauvaises. Les fils à linge sont encore là fixés aux poteaux de ciment ; une
pince a été oubliée, elle a déteint dans les intempéries et sous le soleil.
Envolés
les rires et les cris d’enfants qui jouent à la marelle ou au tennis sur la
chaussée, les automobilistes ralentissent pour leur laisser le temps de monter
sur le trottoir puis reprennent tranquillement leur route.
Le
voisin d’en face traverse la rue, s’approche, je ne le connais pas, il ne me
connaît pas, il n’a pas connu mes parents. Il s’inquiète de voir quelqu’un
traîner par là. Je lui dis que je ne fais que passer, que c’est la maison où
j’ai grandi, nous bavardons. Il me raconte qu’avant que les nouveaux
propriétaires -qui ont pris la suite de la Mine- ne coupent tous les rosiers et
n'arrosent tout de désherbant afin que rien ne repousse, il venait cueillir des
roses et les offrait à sa femme. Ces roses que Maman aimait tant et que Papa ou
mon frère lui rapportaient du jardin... c’était il y a quelques années
seulement, c’était il y a longtemps. Nous nous séparons. Il retraverse la rue,
rassuré.
Je
me retrouve là, seule au milieu du jardin, de ce qui fut un jardin mais n’en
semble plus un, qui ne ressemble à rien d’ailleurs. Pas même une friche, juste
un sentiment d’abandon. Boire la coupe jusqu’à la lie, faire encore quelques
pas pour aller dans la cour de derrière. Là, quelques herbes folles ont réussi
à se frayer un chemin parmi les graviers et entre les dernières dalles en
ciment qui marquaient le chemin pour aller jusqu’au jardin. Là aussi le volet
est mis, c’est juste un volet suspendu sur des crochets à l’extérieur, je
pourrais le retirer facilement pour regarder à l’intérieur, je ne le ferai pas.
Les trois cabanes sont vides, dans celle du milieu nous avons peut-être oublié
quelques boulets de charbon, je ne le saurai pas, la porte est cadenassée. La
cabane du fond, elle, est ouverte, pas de cadenas pour attacher la grille au
crochet cimenté dans le mur.
Vide,
le paradis est perdu, c’est une coquille vide et qui sans doute n’accueillera
plus personne, plus aucune famille. Je suis venue ici pour retrouver...
retrouver qui… retrouver quoi... cette maison n’est plus celle où j’ai grandi,
je repars, je n’y reviendrai pas.
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Merci à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour
son regard bienveillant et constructif.
à gorge serrée
RépondreSupprimerVos mots ont retrouvé toute la réalité de ce paradis perdu...
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