mercredi 29 mai 2019

Un paradis perdu...



La maison et le jardin de l’enfance, pas L’Éden, juste un paradis perdu. Trois ans après que mes parents en sont partis ensemble pour l’EHPAD, trois ans après les y avoir conduits, trois ans après avoir tout déménagé, j’y reviens. Maman a gagné les chemins du ciel, Papa arpente maintenant ceux de la terre dans un fauteuil roulant.
Descendre du bus que j’ai pris après lui avoir rendu visite. Remonter la rue Niépce. Un quartier en train de mourir, des fenêtres closes, des volets fermés. Des maisons à l’abandon. Retarder le moment d’y arriver, fermer les yeux... la porte de derrière, sauter à pieds joints l’escalier d’une seule marche, riper dans les graviers. Respirer le seringa, mon enfance entièrement contenue dans son odeur, qui sépare notre maison de celle jumelle des voisins. Quelques pas vers la cabane, trois armoires contenant conserves et confitures, ustensiles de cuisine et linge de maison peu utilisés, nos vélos calés les uns contre les autres, traverser la cour de derrière, longer le garage en bois, à droite le jardin de mon père.
Il est comme une carte qu’il me suffit de déplier pour me remémorer les couleurs, les parfums et les goûts de l’enfance. S’il ne fut pas toujours un paradis, c’est pourtant l’image que j’en garde, que je garde de l’enfance. Tant des photos qui emplissent les cartons que j’ai emportés chez moi ont été prises dans ces allées. Des premiers pas de mon frère à la chasse aux œufs de Pâques de mon neveu en passant par la famille réunie pour les communions solennelles.
Rouvrir les yeux, marcher, j’y suis. Face à une maison même plus emplie d’ombres, une coquille vide, aveugle et muette. Face à la porte de devant, celle qui ouvrait sur la rue, vers laquelle on se précipitait au premier coup de klaxon de la boulangère qui faisait sa tournée dans la cité ou pour ouvrir dès qu’une ombre se dessinait derrière les vitres opaques, c’était la porte des visites. Tous les volets sont fermés sauf ceux de la grande chambre du haut, pour laisser entrer un peu de lumière, de soleil peut-être. Parce qu’elle est au-dessus l’escalier qui descend à la cave, c’est la plus difficile à atteindre -pourquoi faire d’ailleurs, plus rien à voler, squatter peut-être.
Le garage, je savais pourtant qu’il n’était plus là, mon frère avait dû le démonter et emporter le bois à la déchetterie, il ne reste qu'un rectangle de terre noire délimité par les moellons qui en étaient la base. Les carrés de jardin complètement dévastés, de la terre a été volée, plus de rosiers, plus de framboisiers, plus de serpolet, plus la moindre de ces herbes qu’on dit mauvaises. Les fils à linge sont encore là fixés aux poteaux de ciment ; une pince a été oubliée, elle a déteint dans les intempéries et sous le soleil.
Envolés les rires et les cris d’enfants qui jouent à la marelle ou au tennis sur la chaussée, les automobilistes ralentissent pour leur laisser le temps de monter sur le trottoir puis reprennent tranquillement leur route.
Le voisin d’en face traverse la rue, s’approche, je ne le connais pas, il ne me connaît pas, il n’a pas connu mes parents. Il s’inquiète de voir quelqu’un traîner par là. Je lui dis que je ne fais que passer, que c’est la maison où j’ai grandi, nous bavardons. Il me raconte qu’avant que les nouveaux propriétaires -qui ont pris la suite de la Mine- ne coupent tous les rosiers et n'arrosent tout de désherbant afin que rien ne repousse, il venait cueillir des roses et les offrait à sa femme. Ces roses que Maman aimait tant et que Papa ou mon frère lui rapportaient du jardin... c’était il y a quelques années seulement, c’était il y a longtemps. Nous nous séparons. Il retraverse la rue, rassuré.
Je me retrouve là, seule au milieu du jardin, de ce qui fut un jardin mais n’en semble plus un, qui ne ressemble à rien d’ailleurs. Pas même une friche, juste un sentiment d’abandon. Boire la coupe jusqu’à la lie, faire encore quelques pas pour aller dans la cour de derrière. Là, quelques herbes folles ont réussi à se frayer un chemin parmi les graviers et entre les dernières dalles en ciment qui marquaient le chemin pour aller jusqu’au jardin. Là aussi le volet est mis, c’est juste un volet suspendu sur des crochets à l’extérieur, je pourrais le retirer facilement pour regarder à l’intérieur, je ne le ferai pas. Les trois cabanes sont vides, dans celle du milieu nous avons peut-être oublié quelques boulets de charbon, je ne le saurai pas, la porte est cadenassée. La cabane du fond, elle, est ouverte, pas de cadenas pour attacher la grille au crochet cimenté dans le mur.
Vide, le paradis est perdu, c’est une coquille vide et qui sans doute n’accueillera plus personne, plus aucune famille. Je suis venue ici pour retrouver... retrouver qui… retrouver quoi... cette maison n’est plus celle où j’ai grandi, je repars, je n’y reviendrai pas.

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Merci à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et constructif.






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