Il
a posé sa guitare sur la housse, pas dans l’herbe. Les autres
continuent à chanter sans accompagnement. Tous les deux se sont un
peu éloignés. Je sais qu’elle va me quitter pour lui. Ils
chuchotent. Ils sont seuls au monde. Ils pensent que je ne les ai pas
vu se mettre à l’écart, que je ne les entends pas. Malgré le
soir qui tombe, je devine ses yeux à elle, je les connais si bien.
Son regard est si ardent dans ces moments-là. Ils sont plongés
dans les siens. je ne sais pas... à toi de choisir... souffrir...
savoir ce qui a de l’importance... Leurs épaules se sont
rapprochées. difficile... écouter ton cœur... Leurs mains se
frôlent, leurs doigts maintenant s’unissent. je t’aime... Bribes
d'un badinage pas si badin. Silence. Ils se sont enlacés, leurs
bouches... Le cœur qui tangue, le roulis des larmes au bord des
paupières... Le groupe, une chanson... “Tu n'as jamais souri / Si
tendrement je crois / Tu es la plus jolie / Tu ne me regardes pas”.
Elle
fait ça à chaque fois, je la connais, elle
peut pas
s’empêcher. Séduire, flirter sous mon nez comme si je n’étais
pas là. Au début, je
supportais pas.
Malade de jalousie, je lui gueulais dessus, je la traitais de tous
les noms d’oiseaux, je la frappais même et je m’en voulais à
mort. Et puis j’ai compris que c’était plus fort qu’elle,
qu’elle ne pouvait pas faire autrement, c’était en elle comme un
démon. Et j’ai accepté qu’elle s’en aille, qu’elle
disparaisse, pour quelques jours, quelques semaines parfois, pourvu
qu’elle me revienne. Elle revient toujours, elle a besoin de moi
comme moi, j’ai besoin d’elle, ça aussi j’ai fini par le
comprendre. Elle me pardonne, je lui pardonne et tout repart comme au
premier jour. On se découvre, on se redécouvre, on s’aime, on se
déchire. Et puis, au fil du temps, j’ai fini par trouver ça
plutôt exaltant et c’est moi qui la pousse plus souvent vers
d’autres bras, dans d’autres draps. Ça me fait mal d’abord,
comme un pincement au niveau du ventricule droit, ça pince fort et
puis de moins en moins fort et puis plus rien, jusqu’à la fois
prochaine. J’aime la voir s’abandonner dans le cou d’un autre,
deviner leurs premiers baisers, leurs premières caresses, l’imaginer
jouir sous les assauts d’un autre, et la douce douleur que cela me
procure. Indéfinissable extase, pur oubli de moi-même, vertige
éblouissant. « Et
tu flirtes avec lui / Moi tout seul dans mon coin / Je n’sais plus
qui je suis / Je ne me souviens plus de rien
». Je sais qu’elle reviendra, elle revient toujours.
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Ce
texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de
l'hiver 2019 : «
en
4000 mots » | recherches sur la nouvelle | proposition 5,
Sarraute : scénographie des voix »
proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.
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