Au
premier week-end ensoleillé de mai, prendre le bus 24 depuis École
Vétérinaire jusqu’à Jardin des Plantes, continuer par une visite
du Jardin qui s’achèvera à la terrasse du café maure de la
Mosquée de Paris. Dans la solitude, entourée de la foule, écouter
son bourdonnement intérieur et s’ouvrir à ce qu’il y a autour
de soi. Difficile quand on est accompagnée.
D’abord
le bus 24, depuis fin avril, ils en ont modifié le trajet, mais ça
ne change rien pour moi, le 24 donc d’École Vétérinaire à
Jardin des Plantes. J'avais cru que le changement de parcours et la
réduction de sa longueur rendraient les déplacements plus fluides,
eh bien non !
Le conducteur nous annonce que nous n’irons pas jusqu’au bout.
Dans
les transports franciliens, la semaine, les voyageurs sont seuls la
plupart du temps, ils lisent, écoutent de la musique les écouteurs
sur ou dans les oreilles, regardent des films sur leurs smartphones ;
si je devine une conversation, elle est souvent relative au travail,
plutôt aux collègues de travail, est-ce indispensable de dire
qu’elles sont plus perfides qu’élogieuses. Et puis, les
personnes qui parlent au téléphone comme si elles étaient chez
elles. Enfin, celles qui parlent toutes seules. Le week-end,
les groupes d’amis, les familles, cacophonie, conversations
animées, éclats de voix, de rires. La semaine, c’est moins
confortable. Se mélangent les odeurs d’aisselles, de sueurs et de
parfums, de déodorants, je ne les aime pas plus les unes que les
autres, toutes m’importunent.
Les vibrations attisent les douleurs ensommeillées par le repos. Le
pire des inconforts, être debout et le pire du pire être serrés
comme dans une boîte à sardines, devoir éviter les contacts,
pouvoir se tenir à une barre verticale, trop petite pour atteindre
les horizontales accrochées au plafond. Heureusement, le sac à dos
adopté pour contrer les douleurs évite les contacts indésirés et
indésirables. C’est le week-end, alors j’oublie tout ça.
Une
famille -la mère, deux filles, le père, un fils- monte dans le bus
en même temps que moi. Pas toujours facile les ados, l’une d’elles
refusent de s’asseoir avec les autres ou juste de l’autre côté
de l’allée, à côté de moi. Elle marmonne, se désolidarise,
bientôt rejointe par le père. Chaque groupe poursuit une
conversation, je n’entends rien, le moteur est trop bruyant, je
perçois le ronron des échanges autour de moi, pas la teneur. Le
bruit des portes qui s’ouvrent, “On descend” crie un enfant, et
se ferment ; à l’arrêt, comme le bus se fait moins ronflant, je
les entends qui jouent à un jeu, entre quiz culture et devinettes.
Ça me rappelle les jeux auxquels nous jouions enfants lors des
voyages en voiture. Une voix féminine et enregistrée annonce tous
les arrêts. La même sur toutes les lignes, du moins c’est ce
qu’il me semble. C’est bizarre, ça m'agace. C’est une voix
synthétique qui se veut naturelle, ils auraient pu la diversifier en
fonction des lignes. Mais non, partout la même, le choix résulte
sans doute d’une savante étude, entre audibilité et neutralité.
Tout près, un jeune couple discute, j’entends “piste cyclable”,
ils auraient peut-être dû prendre un vélo plutôt que le bus qui
est maintenant bloqué, j’apprendrai plus tard que c’est lié aux
manifestations dans Paris.
Maintenant
traverser la route, pas facile malgré le feu, faire attention aux
vélos et aux trottinettes qui se faufilent sur le passage piéton.
Enfin ! entrer dans le Jardin. Franchir la grille comme une
frontière, l’impression d’être dans un endroit calme, on
n’entend plus la rumeur des voitures, là juste derrière la
grille. Cris rauques des corneilles qui attaquent et chassent les
pigeons auxquels elles disputent les miettes des promeneurs autour
des kiosques et des tables de pique-nique. Près de la ménagerie,
les remugles âcres des urines, les cris des animaux que je ne sais
pas identifier, des chants d’oiseaux, des trilles légères et
argentines. Le sable mêlé à de petits graviers qui entrent dans
les chaussures ouvertes pour que les orteils s'aèrent, ça gêne,
s’asseoir sur un de ces nouveaux bancs en métal, froid en hiver et
chaud sous le soleil, regretter les anciens en bois, peints en vert,
moins profonds, plus raides mais confortables au final. Le sable qui
crisse sous les pas des visiteurs, l’élan plus rapide et plus
léger des coureurs, le glissement continu et tranquille des roues
des poussettes d’enfants, plus rare, celui des fauteuils roulants.
Pénétrer
dans le petit jardin juste après la Galerie de Botanique. L’odeur
des roses en buisson ou grimpantes sur les tonnelles et celle de la
terre fraîchement arrosée. A l’approche de la Galerie de
Minéralogie, s’y mêlent des statues et quelques spécimens
géologiques, le grès de Fontainebleau aux bosses et vagues
éléphantesques, pourtant au toucher ça n’a rien à voir avec de
la peau d’éléphant, sourire, je n’en ai jamais touché de peau
d’éléphant, le tronc de cyprès fossile à la texture fibreuse
et crevassée, finalement plus minérale que végétale, le marbre
du Boulonnais, lisse avec des îlots plus granuleux ; réunis sur un
même socle, le talc de Luzenac et les orgues basaltiques. Plus loin,
le granit de Sidobre dont la forme m’évoque celle d’un œuf, un
œuf pas ovale qu’un oiseau, un animal aurait eu bien du mal à
pondre ; l’ardoise de Trélazé dont les lignes noires, plus ou
moins marquées et irrégulières, réveillent le souvenir des œuvres
de Pierre Soulages. Et toujours, presque inquiétant, le criaillement
des corneilles. Le gypse avec ses petites forêts végétales et
touffues et ses arêtes qui écorchent les doigts.
Des
enfants font irruption de la Grande Galerie de l’Évolution, des
cris, des jeux, de l’impatience. Sortir par le haut du Jardin.
Juste la rue à traverser pour me retrouver à la terrasse du salon
de thé de la Mosquée de Paris. Aller chercher une corne de gazelle
et deux baklavas, l’une aux noix et amandes, l’autre aux
pistaches, à la pâtisserie. Ensuite, le plus compliqué, trouver
une place où s’asseoir. Ça y est, finalement ce n’est pas si
difficile quand on est seule. Une fois installée, attendre qu’un
serveur passe et remplisse un petit verre de thé à la menthe
brûlant et délicieusement sucré, comme je ne bois jamais rien trop
chaud, patienter en commençant par la corne de gazelle, c’est le
moins gras et le moins sucré des gâteaux choisis. Dans l'harmonie,
cohabitent le figuier et l'olivier, la brise mêle le bruissement des
larges feuilles de l’un et le friselis argenté de l'autre.
Montent
dans le bleu du ciel l'odeur des chichas et le chant de l'eau de la
fontaine. À l'ombre des deux arbres enlacés, les gourmands, les
pigeons et les moineaux se partagent l'espace, les volatiles les
miettes qui ont échappé aux premiers. Les pigeons s'arrogent celles
qui tombent au sol, les moineaux plus agiles et moins farouches
picorent à même les tables, ces tables de mosaïques bleues et
blanches trop petites pour y poser autre chose que les douceurs.
Faire attention à mon assiette, parfois les moineaux s’enhardissent
et ne se contentent pas des miettes. Le miel des baklavas fond
délicieusement dans la bouche fusionnant au thé à la fois âpre et
doux. En prendre un second quand passe le serveur. Les murmures
autour de moi s’évanouissent, les oiseaux se taisent, mes pensées
s’envolent vers d’autres temps, d’autres lieux. Quand je
reviens au monde présent, j’avale le fond de mon verre, il est
temps de prendre le chemin du retour.
Ce
rituel gourmand et printanier a son pendant hivernal dans un autre
quartier de Paris, la Caravane dans le Marais.
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Merci
à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et
constructif.
Le café (on devrait dire "le thé", en effet brûlant mais délicieux) de la Mosquée de Paris donnerait envie de se convertir à l'Islam si ses préceptes n'étaient pas aussi rigides !
RépondreSupprimerLe lieu est hélas bourré de touristes (il doit figurer sur tous les guides étrangers).
Son couscous est aussi hautement recommandable !
Tellement bien écrit !
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