J’aime
le bon thé, la bonne bière, le bon vin. Je tourne toujours mes
idées sept fois dans ma tête avant de signer une pétition. Des
aliments que je n’aime pas pour leur goût ou leur texture ;
ceux que je ne mange pas ou plus, je ne les digère pas, ils me
rendent malade. Je déteste la société de consommation, la
malbouffe aussi. Il m’arrive de boire du Coca et d’aller au McDo.
J’aime le chant des oiseaux. Je sais en reconnaître, très peu. Je
connais pas mal de ces herbes qu’on dit mauvaises par leur petit
nom. Il vaut mieux être seule que mal accompagnée, cinquante pour
en être certaine. En dehors du temps de travail, je ne supporte pas
les contraintes. J’aime pouvoir changer de chemin quand j’en ai
envie. De petits désagréments m’insupportent parfois plus que des
vraies maladies. Je n’ai eu qu’un seul animal de compagnie, une
chatte européenne noire, Cachou, elle a vécu dix-sept ans.
L’exercice scolaire de la récitation ne m’a pas dégoûtée de
la poésie. Je n’achète pas mes livres sur Amazone, je vais sur
Place des Libraires pour les faire mettre de côté et aller les
chercher en librairie. J’ai lu les quatre premiers tomes de « La
Saga des émigrants » dans les Vosges, j’ai lu
« L’insoutenable légèreté de l’être » à la
cafèt’ du CROUS à Dijon, j’ai lu « Le meilleur des
mondes » assise à même le carrelage, j’ai lu « Les
Jolivet et les treize coups de minuit » sur la plus haute
marche de l’escalier qui menait au grenier chez mes grands-parents,
j’ai lu les Fantômette au fond de ma classe de CM1. J’aime
manger des escargots et des cuisses de grenouilles n’en déplaise à
mes amis d’outre-Manche. J’ai trois sœurs et un frère ; je
suis l’aînée et j’ai six ans et demi de différence avec le
plus jeune. J’aime toutes les couleurs. J’aime les camaïeux.
J’aime regarder les matières et toucher les textures, les
photographier aussi. Je ne porte jamais de pantalons taille basse. Je
déteste voir les gens avec des baggys, on dirait qu’ils ont chié
dans leur froc. Il m’arrive d’avoir du désir pour une femme
devant moi dans la rue, d’être happée par sa démarche. Je
déteste quand le temps ne passe pas. Je déteste quand il passe trop
vite. Je ne suis pas claustrophobe. J’utilise facilement les
ascenseurs. Je n’aime aller au cinéma, je me sens trop enfermée.
Je suis prise de vertige. Je renonce à utiliser les escalators s’ils
descendent et sont trop rapides. Si les escaliers sont vides
en-dessous, je m’agrippe à la rampe pour monter. Je peux le faire,
je traverse une passerelle « aérée » au-dessus de l’eau
une fois par an ; c’est une épreuve. J’aime le cinéma en
noir et blanc. Je peux regarder des classiques plusieurs fois sans me
lasser. J’ai du mal avec le cinéma d’aujourd’hui. Je lis
toujours la liste des effets indésirables des médicaments, on ne
sait jamais. Longtemps je n’ai pas aimé la légère bosse sur mon
nez ; aujourd’hui je l’ai adoptée comme un héritage.
J’aime l’odeur qui monte de la terre après les premières
gouttes de pluie. Je dors en pyjama, avec une petite culotte en coton
et des chaussettes. L’été, je ne porte que des jupes longues,
j’ai de vilains genoux. L’hiver, ça va, j’enfile des collants
épais. Je ne regarde pas la télé, je préfère écouter la radio ;
elle aussi n’est plus ce qu’elle était. Sans lunettes, le monde
est flou quelle que soit la distance. Ils disaient "il faut
couper le cordon ombilical", la faux a terminé le travail
laissé inachevé par le bistouri. Je me suis coupé les ongles, je
n'aurai plus que le bec pour me défendre. Mettre des robes c’est
compliqué ; je ne fais pas la même taille pour le haut et le
bas. Je n’aime pas les boîtes de nuit. Une fois, pour faire
plaisir à une copine, c’est son anniversaire. Tenter de lire dans
les toilettes pour passer le temps ; même là, trop de bruit.
Regarder les gens dans le bus et le métro. Essayer de deviner d’où
ils viennent, où ils vont, ce qu’est leur vie, où va la mienne.
Ce
texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de
l'été 2016 : « back
to basics, 6 | le faux autoportrait comme vraie fiction »
proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.
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