« Et ne va pas te promener sous la pluie sans ton K-Way » avait crié ma mère alors que je m’étais levée du canapé en colère et précipitée vers la porte de l’entrée. J’avais décroché mon écharpe, le fameux vêtement de pluie bleu marine à fermeture éclair blanche et jaune et mon sac à dos de la patère, ouvert et claqué la porte. Sur le perron, j’avais noué l’écharpe autour de mon cou, revêtu l’imperméable à la va-vite et m’étais jetée sous la pluie en grommelant « Quel culot ! », parler de promenade alors qu’elle venait de me faire sortir de mes gonds en disant que je ne pourrai pas aller à la fête du Jour de l’An organisée par mes amis de lycée. Décidément, elle n’accepte pas que je sois maintenant presque une adulte. Ça doit lui foutre un coup de vieux à mon avis. Elle croit que je suis encore la petite fille qui venait se réfugier dans ses jupes quand quelque chose se passait de travers dans la cour de récréation ou sur le chemin du retour. J’en ai marre de passer le réveillon avec mes parents, mon oncle Raymond, ma tante Lucienne et mes cousins. J’ai envie pour une fois de faire la fête avec les copines et les copains. Qu’est-ce qu’elle pense, qu’on va tout mettre à sac chez Christian dont les parents sont partis réveillonner en Corse lui laissant l’appartement, qu’on va boire de l’alcool jusqu’à en être ivres voir pire, que ça va finir en orgie. Non, nous on veut juste passer un bon moment ensemble.
Hors de question que je rentre à la maison pour qu’elle m’empêche de ressortir le moment venu. Merde, elle devrait rouler encore plus vite cette voiture, me voilà mouillée de la tête au pied, mon pantalon est à essorer. Il ne me reste plus qu’à aller chez Nicole pour qu’elle me prête des vêtements pour la soirée. Je ne vois rien avec toute cette pluie devant les yeux… et maintenant je me mets à pleurer. Quelle conne ! Un arrêt de bus, je vais m’y mettre à l’abri en attendant que ça se calme.
Un bus s’arrête, justement Nicole en descend et me rejoint. Je lui raconte tout. Elle met son bras autour des mes épaules et m’attire près d’elle sous son parapluie et nous partons sous la pluie qui continue à tomber drue en riant et en sautant dans les flaques. Une fois arrivées, elle claque la porte et crie à sa mère qui regarde la télévision dans le salon « Je monte dans ma chambre avec Isabelle ». Nous enlevons nos chaussures et les déposons dans l’entrée avant de nous précipiter dans l’escalier. Nous prenons une douche chaude, enfilons chacune un pyjama douillet et passons l’après-midi à écouter nos chansons préférées sur son tourne-disque. En fin de journée, nous buvons un chocolat chaud et mangeons quelques petits gâteaux.
Vient ensuite le moment de se préparer pour aller chez Christian. Elle ouvre son armoire en grand, choisit une robe rouge à bretelles et un boléro noir à paillettes,moi une robe bleue pailletée et une veste assortie. Nous nous maquillons dans la salle de bain en chahutant, nous aspergeons de Poison, parfum qu’elle réserve aux grandes occasions, puis passons les tenues que nous avons déposées sur le lit. Nous nous regardons dans le grand miroir et sautons de joie. Nous voilà prêtes pour notre premier réveillon avec nos amis. Elle me prête son manteau bleu marine et enfile le noir, elle prend le grand parapluie à fleurs de sa mère sous lequel nous pourrons nous abriter toutes les deux s’il pleut et nous voilà parties bras dessus bras dessous, riant à gorge déployée en direction de l’appartement des festivités.
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Annie Saumont – Le tapis du salon : nouvelles – Julliard
Titre de la nouvelle avant la page 66 qui est blanche : « Et ne va pas te promener sous la pluie sans ton K-Way »...

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