vendredi 4 novembre 2016

Vases Communicants du 4 novembre 2016 : Invitée : Hélène Verdier

Chevets



Comment s’étaient-ils rencontrés ? 
Par hasard, comme tout le monde. 
Comment s’appelaient-ils ?
Que vous importe? 
D’où venaient-ils ? 
Du lieu le plus prochain. 
Où allaient-ils ? 
Est-ce que l’on sait où l’on va? 
Que disaient-ils ?
Denis Diderot, Jacques le fataliste (Incipit)


Comment s’étaient-ils rencontrés ? 
Ils s'étaient rencontrés sur le Rivage,  lieu unique du croisement de l'eau, du ciel et de la terre, le derrière soi et le devant soi séparés par le fil incertain du mouvement des vagues et des pas, et par le trait droit de l'horizon toujours menacé par les humeurs du temps et de l'être,
à croire que tout est à tous miracle et merveille et tombe des nues  (Guy Goffette)


Comment s’appelaient-ils ?
Ce pourrait-être moi ? Ne parlons pas de lui qui, selon moi, pourrait être plusieurs — je n'ai  pas la mémoire des noms. Au quotidien, je consulte un manuel de gymnastique photographique pour entraîner le souvenir en défaillance 
Utilisez les accumulateurs immédiatement après leur charge. Les accumulateurs peuvent perdre leur charge s'ils restent inutilisés. (D7000)


Que vous importe ?
Diable d'homme, drôle de bougre,  sacré Denis qui pose les questions pour esquiver les réponses sous la forme d'autres questions. À le lire, pardon pour ces irrévérences, je crois entendre les questions sans fin des enfants, de 7 ans forcément, qui jouent sous mes yeux sur la plage en construisant châteaux de sable, et le parent-mentor lassé de répondre «et pourquoi, et pourquoi ? et pourquoi quoi ?»
Working on the edge : travailler sur le fil du rasoir, terme utilisé pour parler de la pêche au crabe. (Catherine Poulain)


D’où venaient-ils ? 
De tabernacle en tabernacle, la réponse semblait identique pour l'un(e) comme pour l'autre nous épargnant ainsi la difficulté d'un semblant de dialogue sur l'origine, affalés dans des chaises longues inoccupées — mais tournées vers une tente en tabernacle qui venait masquer tout espoir d'horizon.
[...] ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents un front cartilagineux d'insecte, Moi ?... (Claude Simon).


Où allaient-ils ?


Nul pas même moi ne le savait. Mise à part la certitude qu'un jour il y aurait une dernière nuit sur terre. Et parce qu'à ce moment là, face à la mer,  je pensai à Marthe dans sa baignoire (depuis Villers-sur-mer souvenir du Canet).
Madame flottait dans sa baignoire devenue trop grande comme le bouchon sur la vague. (Didier Goupil).


Est-ce que l'on sait où l'on va ?
Mettons-donc de côté la question de l'ultime ou du dernier. Je, on, ils avancent masqués à la recherche de... Ici sans nul doute la réponse ne peut être impropre. Il s'agit de chacun.  Avec les outils reçus et les outils forgés il faut bien creuser la terre, ratisser le sable, malaxer la matière. Je songeai à l'énergie de Louise, ce petit bout de femme,  dans son sacré combat pour imposer sa dignité. 

Comme convenu, j'appelle Louise Bourgeois pour lui dire au revoir et l'assurer que tout va bien. [...]. Non  je n'ai pas oublié son masque. Je dis «son masque» sans y penser. Oui je l'ai bien emballé. Il arrivera sain et sauf. Non je ne sais toujours pas à quoi m'en tenir avec lui. Au moment de nous quitter, Louise Bourgeois hurla à l'autre bout du fil : Cela n'a rien à voir avec la mort ou avec les beaux-arts ! Les masques ont assez de force pour leur résister.  (Xavier Girard).


Que disaient-ils ? 
Elle parlait de Barthes et aussi de poésie.
La voix de Barthes me conduit vers un dernier Haïku («mais non ultime», il est du grand Bashō, je le connais par cœur :
 Comme il est admirable
Celui qui ne pense pas «la vie est éphémère»
En voyant un éclair
La nuit est vaste, splendidement étoilée, la mer est tranquille. Je suis tranquille moi aussi, tout peut commencer, tout est clair à présent. (Colette Fellous).

*   *
*

Il ne répondit rien. Il regardait dans le ciel le tout premier éclair qui annonce l'orage.  Plongé dans ses pensées, ou peut-être s'agissait-il des prémisses d'un trouble ?
Une stéréotypie idéo-comportementale (...). J'aime les catastrophes aériennes parce qu'elles répondent toujours à une logique précise qu'on peut découvrir d'après des indices parfois ténus ; et j'aime le scrabble parce qu'il ravale à l'arrière-plan la question du sens des mots et permet de faire autant de points avec «asphyxie» qu'avec «oxygène». (Emmanuel Venet).
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Sur ma table de chevet, il y a quelques piles de livres d'où sont extraits, dans l'ordre des 7 questions de l'incipit,
7 excipit, en italiques :
Guy Goffette, Petits riens pour jours absolus. L'usage des villes (une prière), Gallimard, p.108
Nikon, D7000, Manuel d'utilisation, p.321
Catherine Poulain, Le grand marin, Editions de l'Olivier, p.373 (merci à Elisabeth Lamiscarre)
Claude Simon, Histoire, La Pleiade, p.416
Didier Goupil, traverser la Seine, Le serpent à plumes,  (fin non paginée)
Xavier Girard,  Louise Bourgeois, face à face, Seuil, p.160-161, merci Xavier.
Colette Fellous, La préparation de la vie, Gallimard p.202, 203
et
Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, Verdier, p.28 (citation dans le corps du texte)

Tout ceci n'est qu'un jeu, un exercice de style. 
Mais tout est véridique, à commencer bien sûr par la pile de livres.

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François Bon a été à l’origine de ces échanges le premier vendredi de chaque mois, que j’ai découverts alors qu’ils étaient coordonnés par Brigitte Célérier ; Angèle Casanova a pris le relais à partir de novembre 2014. Je remplace Angèle depuis bientôt un an.


Aujourd’hui, j’ai donc le très grand plaisir de recevoir Hélène Verdier pour ces Vases Communicants et de publier son texte sur La dilettante. Nous avons choisi d’écrire chacune à partir d’une photo de l’autre en écho à l’incipit du « Jacques le fataliste » de Diderot.


Je la remercie d'accueillir mon texte « Est-ce que l’on sait où l’on va ? » sur « Simultanées ».


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