Des sons, des photographies et des fragments de textes, isolés ou combinés ; les connexions qui me viennent à l'esprit face à la société et au monde tel que je les perçois, les analyse parfois mais aussi ce qui germe au plus profond.
Merci
à tous les deux, à tous ceux qui font la ronde et à leurs
lecteurs.
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Épreuve
de philosophie
(4
heures)
Sujet :
Épreuve(s).
Mon
grand-père paternel avait été un combattant de Verdun. Tout
petits, nous l’écoutions raconter ses jours passés dans les
tranchées, la boue, la pluie, le froid, la sensation qu’il était
impossible « d’en revenir ». Il avait connu « l’épreuve
du feu ». Ce déluge de shrapnels, ces bombardements
incessants, le sifflement des balles de fusils et de mitrailleuses
des soldats d’en face, « les Boches » : la
symphonie pour un massacre était restée gravée dans sa mémoire.
Dans
le grenier de la maison qu’il habitait, une fois en retraite, à
Vesoul (Haute-Saône), nous avions trouvé un jour, mon frère et
moi, deux casques et deux masques à gaz qu’il avait rapportés de
la guerre. Une fois coiffés et équipés (drôle d’odeur à
l’intérieur des appareils pour respirer), nous descendîmes un
jour pour lui faire la surprise… Scandale !
Brillamment
décrite par Henri Barbusse dans Le Feu, publié en 1916 par
Flammarion et qui remporta le prix Goncourt la même année, cette
épreuve consume. Il est curieux de noter qu’un précédent livre
de l’écrivain communiste, admirateur de Staline, portait pour
titre L’Enfer (1908), sorte de prémonition de ce qu’il
allait rencontrer lui-même en s’engageant dès le mois de décembre
1914, à l’âge de 41 ans, dans l’armée regroupée au front
(231ème régiment d’infanterie), où il restera
jusqu’en 1916.
Il
faut alors réussir l’épreuve du feu – demeurer vivant – en
esquivant la mitraille, en espérant que celle-ci ne vous a pas
défini précisément comme cible, en vous abritant sous les rondins
et derrière le parapet de la tranchée. Vos camarades sont forcément
les prochaines victimes, pas vous.
C’est
là que le feu brûle comme la glace et par intermittences non
prévisibles : au passage de la Bérézina certains en gardaient
un souvenir cuisant. Verdun était devenu une forge fantastique où
Pétain n’était pas Vulcain mais celui qui fit fusiller « pour
l’exemple » les mutins refusant d’aller à l’abattoir :
le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire (1957),
a reconstitué avec force cet épisode historique longtemps passé
sous silence.
De
nos jours, l’épreuve du feu est laissée aux pompiers. Ils ont pu
la rencontrer récemment, sur une grande ampleur, avec l’incendie
de l’usine Lubrizol, classée Seveso, à Rouen. « L’incident »
n’a produit qu’un nuage de 22 km de long, dénué de toute
« toxicité aiguë » (les cultures maraîchères et
les élevages en plein air ont été néanmoins interdits dans
quelques départements…), après que les flammes ont éclairé les
lieux durant toute une nuit.
Pouvait-on,
finalement, affronter l’épreuve du feu en se préparant au
face-à-face grâce à un peu de pédagogie ? Les militaires
professionnels en faisaient leur approche capitale, les pompiers leur
exercice permanent. Pour sa part, au sein de l’éducation
nationale, le corps enseignant ressentait de plus en plus les
stigmates des grands brûlés. On se rappelait de la formule chantée
par les élèves juste avant « les grandes vacances »
(identique au titre d’un livre de Roland Dorgelès) : « Les
cahiers au feu, les profs au milieu ! ».
(Paris,
rue de Lancry, 10e, 19 septembre.)
texte
et photo : Dominique Hasselmann
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En
ce 15 octobre de l’an de grâce 2019, entrent dans la ronde des
« Épreuve(s) »…
Suis
issue de deux lignées de fermiers, pas généraux, de ceux à qui
confier un fermage, le soin de cultiver la terre d’un propriétaire,
des paysans quoi. L'arrière-grand-père mort de la septicémie,
l'arrière-grand-mère qui prend les rênes de la famille. La
grand-mère orpheline. Dans l'autre branche de la famille, la
grand-mère qui perd un enfant en bas âge, qui ira accoucher de sa
dernière fille sous les bombardements ennemis pendant que la plus
âgée, sera ma marraine, accouche loin de la maison. Pour une fête
patronale, son cousin venu chercher ma mère. Demande faite à la
cousine pour la rencontrer. N’était pas mon père celui faisant la
demande. Apprendrons cela des années plus tard. Ne saurons pas qui
il était. Se sont rencontrés. Se sont aimés. Fiançailles. Mariage
le 17 octobre 1964. Printemps 1965, ai été conçue. Engendrée. Ne
voulait pas venir au monde. Venue au monde comme un tunnel long et
obscur. Ai été tirée hors du ventre maternel à l’aide de
forceps. Suis née. Avais la tête en forme d’œuf. Consignée dans
le registre des naissances. Prénommée Marie-Noëlle. Avait jusqu’à
Noël. Suis née le 12 décembre. Sera donc Marie-Noëlle. Pour les
deux ailes et le tréma, mon père ne savait pas bien, a dit de tout
mettre. Toute l’attention maternelle sur moi. Craignait des
séquelles après cette violence doublée et partagée. Suis l’aînée.
N’a pas voulu retourner à la maternité. Pour les sœurs et le
frère a accouché à la maison. A veillé. A été soulagée et
rassurée aux premiers pas, aux premiers mots. Ai grandi. Ai
dénoyauté des cerises pour ma petite sœur. Ai entendu qu’il
fallait donner l’exemple.
Pense
avoir eu une enfance heureuse. Pourtant rupture à l’âge de
raison. Blessure inavouable, secret enfoui. Du fond du puits de
l'enfance, remonte parfois une fissure dans le temps et dans
l'espace. Ai grandi en Bourgogne, dans une cité minière. Ai appris
à écrire. Ai appris à lire. Premier livre lu, Panache
l’écureuil. Ai lu les Fantômette de la bibliothèque
du fond de ma classe de CM1. Ai lu Les Jolivet et les treize coups
de minuit sur la plus haute marche de l’escalier qui menait au
grenier, chez mes grands-parents. Ai lu Le meilleur des mondes
assise à même le carrelage de la salle à manger. Ai lu
L’insoutenable légèreté de l’être à la cafèt’ du
CROUS à Dijon. Ai lu les quatre premiers tomes de La Saga des
émigrants dans les Vosges. Ai appris l’orthographe. Ai appris
la grammaire. N’ai pas été dégoûtée de la poésie par
l’exercice de récitation. Suis plus spleen de Baudelaire que
bohème de Rimbaud, plus hasard objectif de Breton que route de
Kerouac, plus discours amoureux de Barthes que nouveau roman de
Robbe-Grillet. Suis plus Madame de La Fayette, Colette, Sarraute,
Duras, Sagan que tous ces
auteurs. N’achète pas mes livres sur Amazone. Vais dans les
librairies, les vraies, et les bibliothèques. Suis
allée voir un film à l’Olympia avec ma classe. Ne me souviens pas
du titre. Me souviens que dans la rivière les enfants trouvaient un
vieux pneu qu’ils prenaient pour un serpent. Ai toujours été
effrayée par les serpents, les couleuvres, même les orvets. Pas par
les araignées ni par les insectes hormis ceux qui piquent. Redoutent
les piqûres, les allergies, celles des orties aussi. Aime le cinéma
en noir et blanc. Peux regarder des classiques plusieurs fois sans me
lasser. Ai du mal avec le cinéma d’aujourd’hui. Suis timide et
renfermée. Fais le clown pour donner le change. Renfermée sur
moi-même. Apparurent les angoisses. Apparurent les insomnies.
Disaient de moi que manquais de maturité. Adolescence houleuse
psychologiquement. Tranquille scolairement. Résultats étaient là.
Au lycée plus question de maturité.
Ai
d’abord appris un métier. Suis partie à la fac. Ai découvert la
liberté loin de la famille. Ai tenté des expériences. Ai commencé
à travailler. Ai repris des études en travaillant. Une licence pour
l’évolution de la carrière. N’ai jamais vraiment su le sens du
mot carrière. Une maîtrise pour le plaisir. Ai réussi. Arrêté
là. Aurais aimé continuer, mais épuisement. Ai exploré différents
aspects du métier. Sont
venues avec les lunettes, les ridules au coin des yeux. En explorera
peut-être d’autres avant la retraite. S’en éloigne la date
chaque année. Bois du bon thé, de la bonne bière, du bon vin.
Mange de bonnes choses, apprécie particulièrement les plats
traditionnels. Avec l’âge, ne supporte plus les excès. Devenue
raisonnable. Aime que les boissons et les plats soient bien chauds
même si c'est pour les laisser refroidir ensuite. Bois et mange
tiède. Trop chaud ou trop froid, trouve que l'on ne perçoit pas
bien le goût. Ne mâche pas de chewing-gum, me donne mal au ventre.
Ne mange pas de caramel, le souvenir d’une mauvaise expérience.
Aime les saisons intermédiaires, la douceur et la tendresse des
couleurs du printemps, les teintes empreintes de mélancolie de
l'automne. L'hiver aussi quand la neige recouvre la saleté de la
ville, pas la lumière crue de l'été. Aime l’odeur qui monte de
la terre après les premières gouttes de pluie. Ai
parcouru des chemins en forêt. Ai marché au bord de la mer. Me suis
baladée dans la campagne. Ai marché sur les bords de Seine. Ai
sillonné les rues de Paris et d’ailleurs. Ai visité des jardins.
Ai visité des musées. Ai visité des églises. Ai essayé. Ai
échoué. Ai essayé encore. Ai échoué encore. Ai échoué mieux.
Ai puisé. Ai étayé. Ai construit. Ai vécu. Suis entrée plusieurs
fois dans des sex-shops, toujours accompagnée d’un homme. Suis
allée voir un film porno dans une salle obscure, accompagnée d'un
ami gay, en ce temps-là on disait homosexuel. Me suis parfois
demandé si j'étais une « fille à pédés ». Jamais ne
me suis demandé si j'étais celle de mon père. Ai pourtant eu ma
période roman familial après la lecture de Sans
famille. Ai baisé sans
amour. Me suis amourachée souvent. Ai été amoureuse rarement.
M’arrive d’avoir du désir pour une femme qui marche devant moi
dans la rue. Ai connu des chagrins d’amour. Ai été quitté. Ai
quitté. N’aurai
pas d’enfant. Ai
eu un seul animal de compagnie, une chatte européenne noire. Ai
conduit mes parents à l’Éhpad.
Ai installé mes parents à l’Éhpad.
Ai visité mes parents à l’Éhpad.
Juste en face un vieux bâtiment, délabré, abandonné, un certain
charme, suis née là. Ai dénoyauté des cerises pour ma mère. Ai
pleuré les morts. Ai fait le deuil. Déteste quand le temps ne passe
pas. Déteste quand il passe trop vite. Avance avec la mémoire.
Avance avec les souvenirs. Avance avec la nostalgie. Ai
été rebelle intérieurement, intellectuellement. Pas dans les
actes. Ai appris à me connaître mieux au fil du temps. Ai compris
tardivement que la solitude était mon chemin. Sais maintenant que si
tout n’est pas sérénité, possible de la frôler, plus que la
frôler parfois. Disparurent les insomnies. Ne
comprend pas vraiment les règles du jeu. Ai fait. Ai vu. Ai lu. Suis
venue. Ai vu. N’ai pas vaincu. Suis devenue ce que suis parce que
tout ça. N’ai
pas perdu toutes mes illusions. N’ai ni regrets ni remords. N’en
suis pas sûre. Garde espoir en l’avenir.
Enfin,
je rentre à la maison. Sept mois que je n’y suis pas revenue. Il
va falloir m’y réadapter, m’y adapter, des semaines, des mois
que j’entends ce verbe, s’adapter, j’en ai assez. Pourtant, je
vais devoir me réhabituer à vivre dans ma propre maison.
Heureusement, elle est de plain-pied, je vais donc y accéder
facilement. Ces dernières semaines, Christine, ma sœur, s’est
occupée de la réaménager pour que je puisse l’habiter à
nouveau.
Elle
a fait remplacer la baignoire par une douche à l’italienne, au mur
on a fixé un siège que je pourrai déplier en cas de besoin. Dans
les couloirs, le long des murs, des mains courantes me permettront de
me déplacer sans béquille dès que ce sera possible. Christine a
mis quelques meubles à la cave afin que je puisse plus facilement
passer entre ceux qui restent. Elle a fait installer une potence
au-dessus de mon lit pour aider à me lever. Elle a tout fait pour
que je m’adapte, pour que je puisse retrouver mon autonomie à mon
retour. Pour l’instant, j’ai vu seulement des photos des
aménagements.
Dans
une demi-heure tout au plus, elle ouvrira le portail avec le boîtier
électronique et nous entrerons dans la cour, je reverrai le jardin
avec ses verts tendres et ses mille et une couleurs, elle l’a
entretenu pendant mon absence. Derrière la maison, le potager où
elle n’a rien semé ni planté, elle a juste fait en sorte que les
herbes qu’on dit mauvaises n’envahissent pas le terrain ;
c’est le mieux qu’elle ait pu faire, la date de mon retour est
restée longtemps incertaine.
C’était
une belle après-midi de septembre. Je faisais une virée en forêt à
moto quand, à un croisement, j’ai été fauchée par un
automobiliste qui roulait à vive allure et n’a pas marqué un
stop. La collision était inévitable. Ma jambe droite a été broyée
par le choc. Ensuite, j’ai perdu connaissance, c’est le trou
noir, je ne me rappelle plus. Je me suis réveillée après trois
semaines de coma. J’avais été amputée la semaine qui suivait
l’accident pour éviter que la gangrène ne se propage. Mes
premiers souvenirs sont rendus flous par les médicaments. J’étais
incapable de manger ou de m’habiller seule. J’avais perdu toute
force. Il a été nécessaire de m’opérer à de nombreuses
reprises et de me greffer de la peau. Je ne me rendais pas vraiment
compte que j’étais amputée. Je pense que je l’ai réalisé
quand les séances de kiné ont commencé.
Il
a fallu attendre la cicatrisation puis, un jour, le médecin m’a
proposé un rendez-vous avec l’orthopédiste pour une prothèse
provisoire. Au début, chacun de mes déplacements étaient
compliqués, il me fallait tout réapprendre et la prothèse me
faisait mal. Je suis restée deux mois à l’hôpital, j’acceptais
mon corps amputé mais pas la prothèse. Plus tard, ce serait au tour
du prothésiste, pour la prothèse définitive, il prendrait des
mesures, ce serait très rapide, quelques secondes avec un appareil
relié à un ordinateur. Il m’a également posé quelques questions
afin d’en fabriquer une qui soit le mieux possible adaptée à mes
besoins quotidiens et à mes activités. Pour une fois, ce n’était
pas moi qui allais m’adapter mais quelque chose qui serait adapté
pour moi.
J’ai
dû faire plusieurs essayages, j’étais déprimée, je pensais que
je n’y arriverais jamais et tout le monde ne faisait que répéter
que j’allais aller mieux, qu’il fallait que je m’adapte à une
nouvelle vie mais que j’étais vivante, qu’il fallait que j’aille
de l’avant, que jamais je ne pourrais revenir en arrière. Petit à
petit, chaque progrès, même minime, m’apportait un peu de
consolation. Je prenais conscience de tout ce que je pourrais faire
de nouveau, avec un peu d’aide, différemment bien sûr, en
m’adaptant, c’est la première fois que ce verbe prononcé en mon
for intérieur me donna quelque espoir. Je pourrais reprendre mon
travail progressivement, qui sais, un jour je pourrais peut-être
remonter sur une moto et renouer avec la sensation de liberté et le
plaisir de découvrir de nouveaux espaces que j’aimais tant. J’ai
peu à peu retrouvé la confiance en moi et appris à accepter le
regard de ma famille et des amis qui me rendaient visite. Après
tout, eux aussi devaient faire des efforts pour s’adapter à mes
changements d’humeur, à mon handicap, à celle que j’étais
devenue.
Je
suis allée un mois dans une maison de repos où j’ai continué la
rééducation. Quand enfin, j’ai reçu ma prothèse, que tout fut
au point et que je vis que tout s’adaptait bien, ce fut à la fois
un moment de joie, j’allais pouvoir marcher, et d’angoisse, je
devrais répéter ces gestes tous les jours, la chausser dès que je
me lève le matin et l’enlever le soir juste avant de me coucher.
Je suis partie huit semaines dans un centre spécialisé pour pouvoir
marcher à nouveau, réapprendre le quotidien, même les gestes les
plus simples.
J’avais
peur mais j’avais besoin d’agir, de me prouver que j’étais
encore capable d’être autonome. Et toujours ce mot, s’adapter.
Il fallait que j’adapte ma façon de marcher et ce furent à
nouveau des réglages lors de séances de rééducation éprouvantes.
Finalement tout s’est passé pour le mieux même si ce ne fut pas
sans peine. Comme la fin de la cicatrisation s’était déroulée
comme il faut, après quelques semaines, on m’annonça que j’allais
pouvoir rentrer chez moi. Il faudrait bien sûr que je poursuive la
rééducation à l’extérieur et j’aurais besoin de quelques
visites chez le prothésiste afin qu’il adapte la prothèse à mon
moignon ; au fur et à mesure du temps et de la reprise de mes
activités, celui-ci va évoluer et je vais retrouver des muscles ce
qui modifiera mes postures et mes appuis.
Sept
mois après l’accident, je rentre chez moi, je vais pouvoir
reprendre une vie presque normale. La grille s’ouvre, nous entrons
dans la cour. Christine m’aide à descendre de la voiture et me
conduit jusqu’à la terrasse ; je m’assieds dans un fauteuil
qu’elle y a installé. Elle s’apprête à retourner à la voiture
pour rapporter mes affaires dans la maison. « Laisse, on fera
ça plus tard, prépare nous plutôt un café que nous boirons ici
avec les petits gâteaux que nous avons pris chez Genet ». Elle
fait le tour pour entrer dans la maison, je regarde le jardin, je
sens l’odeur des roses et des lilas dans l’air doux du printemps.
Oublier l’espace d’un instant qu’il va falloir s’adapter.
Aujourd’hui, je suis heureuse du chemin que j’ai parcouru. Il
m’est encore difficile de faire des projets et c’est avec un peu
d’appréhension que j’attends le moment d’entrer dans ma maison
et le départ de ma sœur, que je suis prête à tout faire pour
qu’ils aient lieu le plus tard possible. Elle revient avec le café
et les gâteaux, elle sourit, je réponds à son sourire et nous nous
installons pour la dégustation.
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Merci
à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et
constructif.
Orme au chat c’est le nom de l’arrêt de bus Orme aux chats c’est le nom de l’impasse il y eut un orme et des chats il y eut un arrêt de bus et un seul chat il reste l'orme dans l'impasse pas de chats pas de chat pendant dix-sept ans il y eut Cachou une chatte de compagnie européen noir longtemps elle fut malade elle est là allongée elle part elle ne fut pas remplacée c’était compliqué de partir la mère est tombée malade il fallait partir c’était compliqué de trouver quelqu’un pour s’occuper présence là-bas absence ici absence là-bas présence ici apprendre l’absence apprendre le deuil apprendre la solitude longtemps elle fut malade elle est là allongée elle part ils disaient « il faut couper le cordon ombilical » la faux a terminé le travail laissé inachevé par le bistouri on n’apprend pas l’absence on n’apprend pas le deuil à chaque fois un processus unique on dit faire le deuil chaque fois c’est différent chaque fois c'est un nouveau chemin vers une vie nouvelle sans avec vers la vie la vie qui vient la vie qui part
Quand nous ne retrouvions pas quelque chose, le père disait, en regardant par la fenêtre, « je l’ai vu passer au bout de la rue, sur l’avenue de la Marne ». C’était toujours la même blague, une des blagues habituelles de papa. Dans la nuit, elle regarde en bas, la statue sans charme faiblement éclairée par une boule qui émet une lumière morne. Derrière elle, il dort, son souffle, le souffle régulier de celui qui dort sans difficulté. Elle sait que demain elle doit partir. La fin d’une histoire d’amour. Sait-on jamais ce qui est définitif ? Le vis à vis n’est pas très proche, les soirs d’hiver, quand les lampes s’allument dans les appartements, seule à la fenêtre du salon, elle regarde, la radio ou la musique diffusées en toile de fond, elle imagine des histoires, une paire de ciseaux pendus à un crochet dans une cuisine la ramène des années en arrière, quand elle a vu Fenêtre sur cour pour la première fois, qu’elle en a admiré l’atmosphère, « J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi », et la construction, une femme occupée à préparer le repas familial tout en faisant des allers-retours pour vérifier que les enfants ont bien terminé leurs devoirs avant de passer à table et rappeler à son compagnon qu’il faudrait peut-être mettre le couvert, un homme seul, debout dans sa cuisine, écoute-t-il la même émission qu’elle, il tourne la tête, a-t-il aperçu sa silhouette se dessinant en contre-jour ? De l’autre côté de la vitre le ciel gris uniforme, gris tourterelle, de novembre. C’est le dernier week-end d’ouverture de l’hôtel. Malgré le vent, elle a ouvert la fenêtre, juste pour entendre le cri des mouettes, le sac et le ressac de la mer agitée. Plus le moindre cri d’enfant sur la plage. La saison est terminée. Le cycle du temps, rien ne se perd, tout se transforme. Des fenêtres en bois, le bois est peint en rose, des fenêtres récupérées, recyclées pour fermer les châssis, ont été semés et repiqués des légumes et des salades en ce printemps frileux. Elles sont ouvertes à la douce pluie, le soleil se montre timidement entre deux averses. Derrière se dessinent quelques roses aux teintes pâles. Il les cueillait pour les mettre dans un vase sur le petit meuble à côté de la télévision, près des photos familiales et d’une statuette de la Vierge rapportée de Lourdes il y a bien longtemps, et dans un autre sur la table de leur chambre. Un bonheur partagé. Il ne va plus au jardin, plus les jambes, plus le souffle. Le fils entretient le jardin quand il vient en visite, il cueille des roses, les met dans les vases. Elle, elle oublie, les plaisirs du passé, les gestes simples du quotidien. Rose fenêtre aux roses, vague à l’âme. La nuit d’obsidienne a laissé place à l’aube. Dans le soulèvement de la brume, l’horizon, rincé par la pluie, s’aquarelle. Les arbres dévêtus de leur parure d’été portent le deuil à leur pied. La lumière du soleil se diffracte sur les feuilles humides diaprant l’air de tessons aux nuances opalines. Au bord de la semaine, se reposer… un nouveau matin, une nouvelle promenade au bord de la rivière du deuil. Seule, devant la fenêtre, écouter le gazouillement des mésanges, chercher le réconfort dans le fredonnement du vent. Une larme coule sur la vitre. Frôlement de ses douces ailes. Souffle, murmure.
« Donne-leur
le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les
illumine. Le juste restera dans un souvenir éternel, duquel il n'a
pas à craindre une mauvaise réputation. » (Requiem,
Graduel)
Ilafalludesmillionsd’annéespourquelevégétalsetransformeenminéral, lecharbonné
de lapourrituredesfougères,despierresetd’arbresgéants,puisdeleurpétrification
en a quelquefois gardé l'empreinte, noir sur noir, parfois
en volume des traces animales,
l’empreinte
desfeuillessifinementdécoupéesd’unefougère Je ne
peux jamais regarder les œuvres de Soulages, son outrenoir, ses
reliefs, ses entailles et ses sillons dans la matière noire, sans
penser à ces fossiles.
3-Sur
une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de
ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire
thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que
nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le
charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos
parents à l’Éhpad.
La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans
la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté
la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la
garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui
manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans
toutes les boutiques de cadeaux de la région, celle qu’il fixait
sur le casque.
Aufond,pasdenom,unmatriculeetunnumérodelampe. Sale,nonpassale,incrustédepoussièredecharbonetlàoùdesmorceauxsonttombés,lecasqueremplissantsonrôleetprotégeantlepèred’uneblessureàlatête,des tracesplusmarquées. Le
casque, en plastique, est issu d'une autre énergie fossile, le
pétrole. Cequin’estpaslà,lalampe,elleétait
déposée à la lampisterie où elle était rangée et entretenue parlelampiste,ilnedevaitpasenmanquerune,onsavaitainsiquetousétaientbienremontésetc’étaitessentielquotidiennement,c’étaitimpératifquandilyavaitunaccident,oupire,unecatastrophe,lacatastrophe,c’estuncoupdepoussier,lapoussières’embraseaucontactd’uneétincelle,onmouillesurleschantierspourl’éviter,quandçaarrivec’estleplussouventparcequelasécuritéaéténégligéeauprofitdurendement,oulecoupdegrisou,ungazinvisibleetinodore,
composé à plus de 90 % de méthane, onraconteque
bien avantles
outils demesuremodernes,c'estuncanariquelesmineursdecharbondescendaientaveceux,quandl'oiseaunechantaitplus,c'estqu'uncoupdegrisouétaitprobable,lamineétaitalorsévacuée,d’autressoutiennentquec’estunelégende ;aujourd’huilesminesfrançaisessonttoutesferméesmaisdescoupsdegrisouontencorelieupartoutdanslemonde, dans
des pays où l'économie en plein développement ne permet pas de
renoncer à cette énergie facile d'accès et peu coûteuse, même au
prix de vies humaines. Au fond, ilétaitinterditdefumer,monpèrenefumaitpas,ceuxquinepouvaitsepasserdetabacchiquait,ilfallaitéviterl’étincellequipouvaitenflammer
legazpernicieux,lapoussièreaussi.
4
– Pendantletempsoùiltravaillait,ilnenousajamaisbeaucoupparlédesesconditionsdetravail,cen’estquebiendesannéesplustard,alorsquenousvisitionstousensembleleMuséedelaMineguidésparunancienmineur,iln’enresteguèreaujourd’hui,
le guide racontequ’ilfallaitpendrelesmusettescontenantlecasse-croûteafinqu’ilnesoitpasmangésparlesrats ;
là,lepèrenousregardeetnousditquec’estvrai.
Les
chevalements ça faisait un peu penser à la tour Eiffel, il n’en
reste qu’un celui du Musée, tous les autres ont été démantelés
pour des raisons de sécurité ou des raisons plus obscures, effacer
la trace d’un passé ouvrier, effacer le souvenirs d’un peuple de
travailleurs solidaires et combatifs. À un moment donné, il a même
été question de rebaptiser Montceau-les-Mines,
Montceau-en-Bourgogne, c’est frôler le grotesque, ça pourra
peut-être se faire un jour quand tout aura été oublié, ceux qui
se souviennent sont de moins en moins nombreux.
Le
mouvement de la roue rythmait la vie du mineur tout comme le poste
qu’encadraient la descente et la remontée de la cage, c’est
ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait le mineur vers le
fond ou le ramenait vers la lumière. Ça rythmait aussi celle de la
mère pour la préparation des repas, la nôtre aussi, il ne
travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du matin
ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il
partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des
postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur
du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans
couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses
peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils
traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui,
une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de
suie même après la douche, quand il rentrait à la maison, la
première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le
casque incrustédepoussièredecharbonetlàoùdesmorceauxsonttombés des tracesplusmarquées ;
dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière
qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui
fait tousser, qui empêche de respirer, sur le corps du père, les
traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et sur le genou,
suites d’accident dus au travail, ces tatouages bleus, ces
tatouages
involontaires qui racontaient une histoire, son histoire.
5
– Sur
une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de
ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire
thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que
nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le
charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos
parents à l’Éhpad.
La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans
la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté
la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la
garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui
manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans
toutes les boutiques de souvenirs de la région, celle qu’il fixait
sur le casque.
Aufond,pasdenom,unmatricule,
unnumérodelampe et un
sobriquet, le sien c'était P'tit Louis. C'est ainsi que
l'appelaient, lorsqu'ils se croisaient en ville ou sur le marché,
les autres mineurs qui avaient fait équipe avec lui.Àl’Éhpad,unmonsieurqui
rendait visite à sonépousedontilnepouvaitplus
prendre soin àlamaison,passaittoujourslevoir,lesaluer,etcejusqu’audernierjour, jamais
il n'a utilisé notre nom de famille, tout le temps P'tit Louis.Toujours,lorsquenousétionslà,ilnousdisaitsonadmirationpourletravailleur,lemineurqu’avaitéténotrepère.Pendant
le temps où il travaillait, il ne nous a jamais beaucoup parlé de
ses conditions de travail. Ce n’est que bien des années plus tard,
alors que nous visitions tous ensemble le Musée de la Mine guidés
par un ancien mineur, il n’en reste guère aujourd’hui, le guide
raconte qu’il fallait pendre les musettes contenant le casse-croûte
afin qu’il ne soit pas mangés par les rats ; là, le père
nous regarde et nous dit que c’est vrai.
Le
mouvement de la roue du chevalement rythmait notre vie : la vie
du père, avec le poste qu’encadraient la descente et la remontée
de la cage, c’est ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait
le mineur vers le fond ou le ramenait vers la lumière ; la vie
de la mère pour la préparation des repas, la vie des enfants aussi,
il ne travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du
matin ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il
partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des
postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur
du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans
couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses
peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils
traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui,
une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de
suie même après la douche. Quand il rentrait à la maison, la
première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le
casque incrustédepoussièredecharbon,
làoùdesmorceauxsonttombés des tracesplusmarquées ;
dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière
qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui
fait tousser, cracher, qui empêche de respirer ; sur le corps
du père, les traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et
sur le genou, dus à des accidents du travail, ces tatouages bleus,
ces tatouages
involontaires, marques laissées dans la peau par la poussière de
charbon, insinuées dans des écorchures, des égratignures. Ces
cicatrices bleues racontaient son histoire, une histoire, celle d’un
peuple de travailleurs solidaires et combatif dont certains
voudraient effacer le souvenir.
La
fermeturedespuits,commeundeuil, vint
ensuite lanostalgie
d’une époque
où les industries, la mine particulièrement, faisait vivre la ville
et les bourgs alentour avec leurs écoles, leurs commerces, leurs
églises, enfin la colère
contre ces industries polluantes et leurs conséquences sur la santé
des hommes et l’environnement.