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jeudi 3 octobre 2019

Parce que tout ça...



Suis issue de deux lignées de fermiers, pas généraux, de ceux à qui confier un fermage, le soin de cultiver la terre d’un propriétaire, des paysans quoi. L'arrière-grand-père mort de la septicémie, l'arrière-grand-mère qui prend les rênes de la famille. La grand-mère orpheline. Dans l'autre branche de la famille, la grand-mère qui perd un enfant en bas âge, qui ira accoucher de sa dernière fille sous les bombardements ennemis pendant que la plus âgée, sera ma marraine, accouche loin de la maison. Pour une fête patronale, son cousin venu chercher ma mère. Demande faite à la cousine pour la rencontrer. N’était pas mon père celui faisant la demande. Apprendrons cela des années plus tard. Ne saurons pas qui il était. Se sont rencontrés. Se sont aimés. Fiançailles. Mariage le 17 octobre 1964. Printemps 1965, ai été conçue. Engendrée. Ne voulait pas venir au monde. Venue au monde comme un tunnel long et obscur. Ai été tirée hors du ventre maternel à l’aide de forceps. Suis née. Avais la tête en forme d’œuf. Consignée dans le registre des naissances. Prénommée Marie-Noëlle. Avait jusqu’à Noël. Suis née le 12 décembre. Sera donc Marie-Noëlle. Pour les deux ailes et le tréma, mon père ne savait pas bien, a dit de tout mettre. Toute l’attention maternelle sur moi. Craignait des séquelles après cette violence doublée et partagée. Suis l’aînée. N’a pas voulu retourner à la maternité. Pour les sœurs et le frère a accouché à la maison. A veillé. A été soulagée et rassurée aux premiers pas, aux premiers mots. Ai grandi. Ai dénoyauté des cerises pour ma petite sœur. Ai entendu qu’il fallait donner l’exemple.

Pense avoir eu une enfance heureuse. Pourtant rupture à l’âge de raison. Blessure inavouable, secret enfoui. Du fond du puits de l'enfance, remonte parfois une fissure dans le temps et dans l'espace. Ai grandi en Bourgogne, dans une cité minière. Ai appris à écrire. Ai appris à lire. Premier livre lu, Panache l’écureuil. Ai lu les Fantômette de la bibliothèque du fond de ma classe de CM1. Ai lu Les Jolivet et les treize coups de minuit sur la plus haute marche de l’escalier qui menait au grenier, chez mes grands-parents. Ai lu Le meilleur des mondes assise à même le carrelage de la salle à manger. Ai lu L’insoutenable légèreté de l’être à la cafèt’ du CROUS à Dijon. Ai lu les quatre premiers tomes de La Saga des émigrants dans les Vosges. Ai appris l’orthographe. Ai appris la grammaire. N’ai pas été dégoûtée de la poésie par l’exercice de récitation. Suis plus spleen de Baudelaire que bohème de Rimbaud, plus hasard objectif de Breton que route de Kerouac, plus discours amoureux de Barthes que nouveau roman de Robbe-Grillet. Suis plus Madame de La Fayette, Colette, Sarraute, Duras, Sagan que tous ces auteurs. N’achète pas mes livres sur Amazone. Vais dans les librairies, les vraies, et les bibliothèques. Suis allée voir un film à l’Olympia avec ma classe. Ne me souviens pas du titre. Me souviens que dans la rivière les enfants trouvaient un vieux pneu qu’ils prenaient pour un serpent. Ai toujours été effrayée par les serpents, les couleuvres, même les orvets. Pas par les araignées ni par les insectes hormis ceux qui piquent. Redoutent les piqûres, les allergies, celles des orties aussi. Aime le cinéma en noir et blanc. Peux regarder des classiques plusieurs fois sans me lasser. Ai du mal avec le cinéma d’aujourd’hui. Suis timide et renfermée. Fais le clown pour donner le change. Renfermée sur moi-même. Apparurent les angoisses. Apparurent les insomnies. Disaient de moi que manquais de maturité. Adolescence houleuse psychologiquement. Tranquille scolairement. Résultats étaient là. Au lycée plus question de maturité.

Ai d’abord appris un métier. Suis partie à la fac. Ai découvert la liberté loin de la famille. Ai tenté des expériences. Ai commencé à travailler. Ai repris des études en travaillant. Une licence pour l’évolution de la carrière. N’ai jamais vraiment su le sens du mot carrière. Une maîtrise pour le plaisir. Ai réussi. Arrêté là. Aurais aimé continuer, mais épuisement. Ai exploré différents aspects du métier. Sont venues avec les lunettes, les ridules au coin des yeux. En explorera peut-être d’autres avant la retraite. S’en éloigne la date chaque année. Bois du bon thé, de la bonne bière, du bon vin. Mange de bonnes choses, apprécie particulièrement les plats traditionnels. Avec l’âge, ne supporte plus les excès. Devenue raisonnable. Aime que les boissons et les plats soient bien chauds même si c'est pour les laisser refroidir ensuite. Bois et mange tiède. Trop chaud ou trop froid, trouve que l'on ne perçoit pas bien le goût. Ne mâche pas de chewing-gum, me donne mal au ventre. Ne mange pas de caramel, le souvenir d’une mauvaise expérience. Aime les saisons intermédiaires, la douceur et la tendresse des couleurs du printemps, les teintes empreintes de mélancolie de l'automne. L'hiver aussi quand la neige recouvre la saleté de la ville, pas la lumière crue de l'été. Aime l’odeur qui monte de la terre après les premières gouttes de pluie. Ai parcouru des chemins en forêt. Ai marché au bord de la mer. Me suis baladée dans la campagne. Ai marché sur les bords de Seine. Ai sillonné les rues de Paris et d’ailleurs. Ai visité des jardins. Ai visité des musées. Ai visité des églises. Ai essayé. Ai échoué. Ai essayé encore. Ai échoué encore. Ai échoué mieux. Ai puisé. Ai étayé. Ai construit. Ai vécu. Suis entrée plusieurs fois dans des sex-shops, toujours accompagnée d’un homme. Suis allée voir un film porno dans une salle obscure, accompagnée d'un ami gay, en ce temps-là on disait homosexuel. Me suis parfois demandé si j'étais une « fille à pédés ». Jamais ne me suis demandé si j'étais celle de mon père. Ai pourtant eu ma période roman familial après la lecture de Sans famille. Ai baisé sans amour. Me suis amourachée souvent. Ai été amoureuse rarement. M’arrive d’avoir du désir pour une femme qui marche devant moi dans la rue. Ai connu des chagrins d’amour. Ai été quitté. Ai quitté. N’aurai pas d’enfant. Ai eu un seul animal de compagnie, une chatte européenne noire. Ai conduit mes parents à l’Éhpad. Ai installé mes parents à l’Éhpad. Ai visité mes parents à l’Éhpad. Juste en face un vieux bâtiment, délabré, abandonné, un certain charme, suis née là. Ai dénoyauté des cerises pour ma mère. Ai pleuré les morts. Ai fait le deuil. Déteste quand le temps ne passe pas. Déteste quand il passe trop vite. Avance avec la mémoire. Avance avec les souvenirs. Avance avec la nostalgie. Ai été rebelle intérieurement, intellectuellement. Pas dans les actes. Ai appris à me connaître mieux au fil du temps. Ai compris tardivement que la solitude était mon chemin. Sais maintenant que si tout n’est pas sérénité, possible de la frôler, plus que la frôler parfois. Disparurent les insomnies. Ne comprend pas vraiment les règles du jeu. Ai fait. Ai vu. Ai lu. Suis venue. Ai vu. N’ai pas vaincu. Suis devenue ce que suis parce que tout ça. N’ai pas perdu toutes mes illusions. N’ai ni regrets ni remords. N’en suis pas sûre. Garde espoir en l’avenir.

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2019 : « Pousser la langue, proposition 7 | introspection sous verbe » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.







jeudi 19 septembre 2019

Orme au(x) chat(s)


Orme au chat c’est le nom de l’arrêt de bus Orme aux chats c’est le nom de l’impasse il y eut un orme et des chats il y eut un arrêt de bus et un seul chat il reste l'orme dans l'impasse pas de chats pas de chat pendant dix-sept ans il y eut Cachou une chatte de compagnie européen noir longtemps elle fut malade elle est là allongée elle part elle ne fut pas remplacée c’était compliqué de partir la mère est tombée malade il fallait partir c’était compliqué de trouver quelqu’un pour s’occuper présence là-bas absence ici absence là-bas présence ici apprendre l’absence apprendre le deuil apprendre la solitude longtemps elle fut malade elle est là allongée elle part ils disaient « il faut couper le cordon ombilical » la faux a terminé le travail laissé inachevé par le bistouri on n’apprend pas l’absence on n’apprend pas le deuil à chaque fois un processus unique on dit faire le deuil chaque fois c’est différent chaque fois c'est un nouveau chemin vers une vie nouvelle sans avec vers la vie la vie qui vient la vie qui part

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2019 : « Pousser la langue, proposition 5 | poterne Jacques Roubaud » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.

jeudi 12 septembre 2019

Elle, fenêtres…


Quand nous ne retrouvions pas quelque chose, le père disait, en regardant par la fenêtre, « je l’ai vu passer au bout de la rue, sur l’avenue de la Marne ». C’était toujours la même blague, une des blagues habituelles de papa. Dans la nuit, elle regarde en bas, la statue sans charme faiblement éclairée par une boule qui émet une lumière morne. Derrière elle, il dort, son souffle, le souffle régulier de celui qui dort sans difficulté. Elle sait que demain elle doit partir. La fin d’une histoire d’amour. Sait-on jamais ce qui est définitif ? Le vis à vis n’est pas très proche, les soirs d’hiver, quand les lampes s’allument dans les appartements, seule à la fenêtre du salon, elle regarde, la radio ou la musique diffusées en toile de fond, elle imagine des histoires, une paire de ciseaux pendus à un crochet dans une cuisine la ramène des années en arrière, quand elle a vu Fenêtre sur cour pour la première fois, qu’elle en a admiré l’atmosphère, « J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi », et la construction, une femme occupée à préparer le repas familial tout en faisant des allers-retours pour vérifier que les enfants ont bien terminé leurs devoirs avant de passer à table et rappeler à son compagnon qu’il faudrait peut-être mettre le couvert, un homme seul, debout dans sa cuisine, écoute-t-il la même émission qu’elle, il tourne la tête, a-t-il aperçu sa silhouette se dessinant en contre-jour ? De l’autre côté de la vitre le ciel gris uniforme, gris tourterelle, de novembre. C’est le dernier week-end d’ouverture de l’hôtel. Malgré le vent, elle a ouvert la fenêtre, juste pour entendre le cri des mouettes, le sac et le ressac de la mer agitée. Plus le moindre cri d’enfant sur la plage. La saison est terminée. Le cycle du temps, rien ne se perd, tout se transforme. Des fenêtres en bois, le bois est peint en rose, des fenêtres récupérées, recyclées pour fermer les châssis, ont été semés et repiqués des légumes et des salades en ce printemps frileux. Elles sont ouvertes à la douce pluie, le soleil se montre timidement entre deux averses. Derrière se dessinent quelques roses aux teintes pâles. Il les cueillait pour les mettre dans un vase sur le petit meuble à côté de la télévision, près des photos familiales et d’une statuette de la Vierge rapportée de Lourdes il y a bien longtemps, et dans un autre sur la table de leur chambre. Un bonheur partagé. Il ne va plus au jardin, plus les jambes, plus le souffle. Le fils entretient le jardin quand il vient en visite, il cueille des roses, les met dans les vases. Elle, elle oublie, les plaisirs du passé, les gestes simples du quotidien. Rose fenêtre aux roses, vague à l’âme. La nuit d’obsidienne a laissé place à l’aube. Dans le soulèvement de la brume, l’horizon, rincé par la pluie, s’aquarelle. Les arbres dévêtus de leur parure d’été portent le deuil à leur pied. La lumière du soleil se diffracte sur les feuilles humides diaprant l’air de tessons aux nuances opalines. Au bord de la semaine, se reposer… un nouveau matin, une nouvelle promenade au bord de la rivière du deuil. Seule, devant la fenêtre, écouter le gazouillement des mésanges, chercher le réconfort dans le fredonnement du vent. Une larme coule sur la vitre. Frôlement de ses douces ailes. Souffle, murmure.

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2019 : « Pousser la langue, proposition 6 | il elle fenêtre » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.








jeudi 5 septembre 2019

Cum memorare...




« Donne-leur le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les illumine. Le juste restera dans un souvenir éternel, duquel il n'a pas à craindre une mauvaise réputation. » (Requiem, Graduel)


1 - Absence, Boulet, Chevalement, Deuil, Étayer, Fossile, Grisou, Houille, Intimité, Jardin, Khôl, Lampe, Musette, Noir, Outils, Père, Quartier, Respirer, Sainte-Barbe, Tabac à chiquer, Usure, Veine, Wagon, Xylophage, Yeux, Zola…

2Sous-sol - MineGisementFaille - AffleurementCoucheFilonVeine - CarottageExtraction
CharbonBouletBriquettePoussièreHouilleAnthraciteCokeGraphiteLigniteTourbe
Aux mines de Blanzy, cétait du charbon maigre anthraciteux...
Mine souterraineMine à ciel ouvert (Découverte)FosseTaillePuits/GalerieTranchéeBoisage - Fond/Jour - TerrilCarreauGribble (Crible)Salle des pendusDoucheLampisterie - Lavoir
Mineur de fondÉquipeBoiseurBoutefeu - Haveur - "Mon homme"
HouillèreCharbonnagesBassin minier – Paternalisme – Grève – Solidarité - Nationalisation – Statut du mineur
GrisouPoussièreCoup de poussierSilicose – Monument à la mémoire des victimes de la mine
...Il y a 250 à 300 millions dannées, à la fin de lère primaire, pendant la période carbonifère, la forêt hercynienne couvrait de vastes étendues. Les débris végétaux se sont accumulés et ont été recouverts par une faible niveau deau, ils ont été recouverts de sédiments argileux ou sableux, puis des alluvions sy sont ajoutés. Enfermés à labri de lair, le dépôt végétal a fermenté et sest enrichi en carbone.
Il a fallu des millions dannées pour que le végétal se transforme en minéral, le charbon de la pourriture des fougères, des pierres et darbres géants, puis de leur pétrification en a quelquefois gardé l'empreinte, noir sur noir, parfois en volume des traces animales, lempreinte des feuilles si finement découpées dune fougère Je ne peux jamais regarder les œuvres de Soulages, son outrenoir, ses reliefs, ses entailles et ses sillons dans la matière noire, sans penser à ces fossiles.
Il a fallu des millions dannées pour que le végétal se transforme en minéral. On nous dit aujourdhui que nous avons épuisé les énergies fossiles, qu'elles sont présentes en quantité limitée et non renouvelable, on nous dit aujourd’hui que les centrales à charbon contribuent au réchauffement climatique en libérant du CO2 et bien dautres gaz à effet de serre en excès.

3 - Sur une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos parents à l’Éhpad. La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans toutes les boutiques de cadeaux de la région, celle qu’il fixait sur le casque.
Au fond, pas de nom, un matricule et un numéro de lampe. Sale, non pas sale, incrusté de poussière de charbon et des morceaux sont tombés, le casque remplissant son rôle et protégeant le père dune blessure à la tête, des traces plus marquées. Le casque, en plastique, est issu d'une autre énergie fossile, le pétrole. Ce qui nest pas là, la lampe, elle était déposée à la lampisterie où elle était rangée et entretenue par le lampiste, il ne devait pas en manquer une, on savait ainsi que tous étaient bien remontés et cétait essentiel quotidiennement, cétait impératif quand il y avait un accident, ou pire, une catastrophe, la catastrophe, cest un coup de poussier, la poussière sembrase au contact dune étincelle, on mouille sur les chantiers pour léviter, quand ça arrive cest le plus souvent parce que la sécurité a été négligée au profit du rendement, ou le coup de grisou, un gaz invisible et inodore, composé à plus de 90 % de méthane, on raconte que bien avant les outils de mesure modernes, c'est un canari que les mineurs de charbon descendaient avec eux, quand l'oiseau ne chantait plus, c'est qu'un coup de grisou était probable, la mine était alors évacuée, dautres soutiennent que cest une légende ; aujourdhui les mines françaises sont toutes fermées mais des coups de grisou ont encore lieu partout dans le monde, dans des pays où l'économie en plein développement ne permet pas de renoncer à cette énergie facile d'accès et peu coûteuse, même au prix de vies humaines. Au fond, il était interdit de fumer, mon père ne fumait pas, ceux qui ne pouvait se passer de tabac chiquait, il fallait éviter létincelle qui pouvait enflammer le gaz pernicieux, la poussière aussi.

4Pendant le temps il travaillait, il ne nous a jamais beaucoup parlé de ses conditions de travail, ce nest que bien des années plus tard, alors que nous visitions tous ensemble le Musée de la Mine guidés par un ancien mineur, il nen reste guère aujourdhui, le guide raconte quil fallait pendre les musettes contenant le casse-croûte afin quil ne soit pas mangés par les rats ; là, le père nous regarde et nous dit que cest vrai.
Les chevalements ça faisait un peu penser à la tour Eiffel, il n’en reste qu’un celui du Musée, tous les autres ont été démantelés pour des raisons de sécurité ou des raisons plus obscures, effacer la trace d’un passé ouvrier, effacer le souvenirs d’un peuple de travailleurs solidaires et combatifs. À un moment donné, il a même été question de rebaptiser Montceau-les-Mines, Montceau-en-Bourgogne, c’est frôler le grotesque, ça pourra peut-être se faire un jour quand tout aura été oublié, ceux qui se souviennent sont de moins en moins nombreux.
Le mouvement de la roue rythmait la vie du mineur tout comme le poste qu’encadraient la descente et la remontée de la cage, c’est ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait le mineur vers le fond ou le ramenait vers la lumière. Ça rythmait aussi celle de la mère pour la préparation des repas, la nôtre aussi, il ne travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du matin ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui, une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de suie même après la douche, quand il rentrait à la maison, la première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le casque incrusté de poussière de charbon et des morceaux sont tombés des traces plus marquées ; dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui fait tousser, qui empêche de respirer, sur le corps du père, les traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et sur le genou, suites d’accident dus au travail, ces tatouages bleus, ces tatouages involontaires qui racontaient une histoire, son histoire.

5Sur une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos parents à l’Éhpad. La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans toutes les boutiques de souvenirs de la région, celle qu’il fixait sur le casque.
Au fond, pas de nom, un matricule, un numéro de lampe et un sobriquet, le sien c'était P'tit Louis. C'est ainsi que l'appelaient, lorsqu'ils se croisaient en ville ou sur le marché, les autres mineurs qui avaient fait équipe avec lui. À lÉhpad, un monsieur qui rendait visite à son épouse dont il ne pouvait plus prendre soin à la maison, passait toujours le voir, le saluer, et ce jusquau dernier jour, jamais il n'a utilisé notre nom de famille, tout le temps P'tit Louis. Toujours, lorsque nous étions là, il nous disait son admiration pour le travailleur, le mineur quavait été notre père. Pendant le temps où il travaillait, il ne nous a jamais beaucoup parlé de ses conditions de travail. Ce n’est que bien des années plus tard, alors que nous visitions tous ensemble le Musée de la Mine guidés par un ancien mineur, il n’en reste guère aujourd’hui, le guide raconte qu’il fallait pendre les musettes contenant le casse-croûte afin qu’il ne soit pas mangés par les rats ; là, le père nous regarde et nous dit que c’est vrai.
Le mouvement de la roue du chevalement rythmait notre vie : la vie du père, avec le poste qu’encadraient la descente et la remontée de la cage, c’est ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait le mineur vers le fond ou le ramenait vers la lumière ; la vie de la mère pour la préparation des repas, la vie des enfants aussi, il ne travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du matin ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui, une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de suie même après la douche. Quand il rentrait à la maison, la première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le casque incrusté de poussière de charbon, des morceaux sont tombés des traces plus marquées ; dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui fait tousser, cracher, qui empêche de respirer ; sur le corps du père, les traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et sur le genou, dus à des accidents du travail, ces tatouages bleus, ces tatouages involontaires, marques laissées dans la peau par la poussière de charbon, insinuées dans des écorchures, des égratignures. Ces cicatrices bleues racontaient son histoire, une histoire, celle d’un peuple de travailleurs solidaires et combatif dont certains voudraient effacer le souvenir.
La fermeture des puits, comme un deuil, vint ensuite la nostalgie d’une époque où les industries, la mine particulièrement, faisait vivre la ville et les bourgs alentour avec leurs écoles, leurs commerces, leurs églises, enfin la colère contre ces industries polluantes et leurs conséquences sur la santé des hommes et l’environnement.
Cum memorare...

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2019 : « Pousser la langue, proposition 3 | cinq fois sur le métier » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.