mercredi 17 juillet 2019

Revenir…




Elle a postulé pour travailler à la Bibliothèque Universitaire Droit-Lettres de Dijon ; ce n’est plus celle qu’elle a connue, compacte et minérale, refermée sur elle-même, celle d’aujourd’hui est vitrée et lumineuse, ouverte sur l’extérieur. C’est à Dijon qu’elle avait commencé ses études et elle avait la nostalgie de ses années de jeunesse. Après le paradis de l’enfance qu’elle avait alors quitté le cœur léger, cette ville avait été celui du devenir adulte, de la liberté et de l’apprendre. Apprendre un métier qu’elle considère depuis toujours comme une vocation et qu’elle a exercé dans différents contextes.
À la rentrée, c’est là qu’elle travaillera. À la fin de l’entretien, on lui a dit qu’elle était retenue pour ce poste. Quarante ans moins quelques poussières après, elle revient sur le campus où elle a étudié, elle sait bien que l’ambiance ne sera plus la même, elle sait bien que celles et ceux qui l’ont accompagnée sur le chemin, dans les attentes et les espérances, dans les peines et les joies, n’y seront pas. Elle pense qu’elle va retrouver les lieux tels qu’ils étaient, elle pense qu’elle va retrouver leur âme, elle a oublié, voulu oublier que les lieux aussi changent.
Alors qu’elle est assise au milieu de la pelouse, sous le même arbre, ce n’est pas un saule, juste un arbre qui pleure, ses feuilles douces et tendres frémissent dans la brise tiède du soir de juin qui tombe. Les notes de la « maison bleue » ondoient dans cette heure où le ciel passe de l’azur à l’indigo, le génie du lieu sans doute… comme dans un rêve, des silhouettes surgissent, ils s’approchent l'un après l'autre, l'une après l'autre, d'aucuns furent ses amants, d'autres ses amis, d'aucunes furent ses maîtresses, d'autres des traîtresses, l’amour reçu, l’amour donné, l’amitié partagée, l’amitié trahie, la vie tout simplement. Elle n’ira pas jusqu’à dire qu’ils lui parlent, chacun se rappelle à elle, elle se souvient de chacun et de quelques moments vécus ensemble.
Le temps s’est écoulé, laissant les plaies se refermer, les cicatrices s'estomper, les souvenirs heureux s’épanouir, les cogitations amères s’atténuer, la mémoire a parfois le don de faire le tri. De beaucoup elle n'avait pas eu de nouvelles, elle en avait revu certains, avec d’autres elle avait eu juste des contact grâce aux moyens nouvellement apparus pour retrouver les traces du passé, dans un premier temps Copains d’abord, plus récemment les comptes Facebook ; parfois elle les a recherchés, d’autres fois, ce fut l’inverse, enfin, il y eût le hasard. Il y a bien longtemps, elle y est revenue ici, en vain, croyant qu’il y reviendrait lui aussi, elle s’y est rendue maintes fois en pensée. Maintenant, elle est là pour se réconcilier avec cette époque. Ce soir, entre chien et loup, elle est plus paisible et sereine, les impressions d’hier s’équilibrent pour devenir à la fois moins lumineuses et moins sombres. Elle sait que son installation dans quelques semaines ne lui ramènera ni sa jeunesse ni son insouciance, elle sait que ce n’est pas un retour en arrière, c’est un aller vers l’avant, vers un à venir à construire, un renouveau, elle prend conscience qu’elle est au bon endroit.

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Merci à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et constructif.