mercredi 11 décembre 2013

Quelque chose se passe vraiment...

Depuis quelques semaines, je supporte de moins en moins la lumière. Au début, tirer les rideaux suffisait, puis j'ai du fermer les volets, même la faible lumière de la lune m'agresse ; aujourd'hui, j'ai bouché les moindres interstices avec des chiffons, le plus petit rai de lumière m'est devenu une véritable torture, mes yeux, ma peau se rétractent rien que d'y penser.

J'ai bien songé à aller voir le docteur Uzan mais il va encore me dire que c'est psychosomatique, que je dois arrêter de venir le voir pour rien, que je lui fais perdre son temps et que je perds le mien, que je dois me ressaisir, que je sais bien que...

Lui, il a toujours l'air de tout savoir mais moi ce que je sais, c'est que quelque chose se passe vraiment. Cette lumière que je ne supporte plus mais aussi tous ces changements imperceptibles dans mon humeur, tous ces changements flagrants aussi...

Tiens, je ne mangeais presque pas de viande et quand je le faisais, elle devait être très cuite... eh bien, lundi dernier, j'ai eu une envie irrésistible de viande crue, bien saignante.
Je suis même sortie en plein jour pour aller chez le boucher. Oh, bien sûr, j'ai pris mes précautions... J'ai cherché fébrilement mes lunettes de soleil dans le tiroir de la commode, j'ai mis aussi une écharpe devant mon visage et les gants très fins que j'utilisais lorsque j'allais faire un tour à moto.
Le boucher a du être bien intrigué en me voyant dans cet accoutrement en ce début de mois de septembre ensoleillé... mais moi je suis rentrée avec mon steak bien saignant que j'ai mangé cru. Quel délice !

Mais je sais depuis hier que la viande crue ne suffit plus ; hier, j'ai tué mon chat, Caramel, dont l'idée même qu'il puisse lui arriver quelque chose m'était insupportable. Eh bien, hier soir, sans hésitation, j'ai pris le grand couteau de cuisine, je l'ai d'abord égorgé, j'ai bu le sang, c'était rouge, c'était chaud, c'était doux, c'était mieux que le lait chaud sucré au miel que je prenais chaque matin au petit déjeuner... puis, après l'avoir éventré, j'ai planté mes dents dans ses viscères encore brûlants et je m'en suis délectée goulûment.

Goulûment... goulûment... goule... des images me reviennent à l'esprit, des images de contes orientaux ; une goule, une goule assoiffée de sang, voilà ce que je suis en train de devenir. Cela me fait-il horreur ? Non, même pas... la seule chose qui me paraît vraiment importante maintenant est comment je vais pouvoir subvenir à mes nouveaux besoins...

Cette nuit, quand les rues se seront vidées de tout passant, je sortirai, je trouverai bien un chat errant ou un pigeon...

Je sais que cela ne suffira pas toujours... dans quelques jours, dans quelques semaines, puis-je espérer dans quelques mois voire quelques années, ce n'est plus de sang animal dont j'aurai besoin mais de sang humain... D'ici là, j'aurai sans doute quitté cet appartement, ce quartier pour gagner des lieux où la moindre lumière ne pénètre jamais, pour gagner le monde des miens, celui des ténèbres.