Page 66 - « J’ai osé vous effleurer à peine, mon unique »…
J’ai
osé vous effleurer à peine, mon unique malgré nos différences.
Tout en moi était alors en harmonie, corps, cœur, esprit. Tout
s’est mis à frémir pour vous. Presque tremblante, je me suis
reculée pour mesurer si vous étiez aussi troublé que moi. Oser…
dire l’émotion, un geste sans équivoque vers vous, une folie,
vous enlacez là maintenant, vous embrasser, vous entraîner dans la
danse. Pour la première fois, je ressentais dans le ventre ces
papillons dont jusque là je n’avais fait qu’entendre parler.
Vous avez tendu votre bras, posé votre main sur ma joue, planté vos
yeux dans les miens. Et vous avez dit : « Ça ne va pas
être possible, ma belle. » Un enfant s’est alors précipité
vers vous, vous l’avez pris dans vos bras et avec lui vous êtes
entré dans la farandole tourbillonnante. Je suis restée là sur le
bord de la piste à vous regarder tourner joyeusement. Ma sœur, dont
c’était le mariage s’est approchée, « Quelque chose ne va
pas ? m’a-t-elle demandée en me regardant d’un air
distrait. « Non, tout va bien » ai-je répondu en
l’entraînant dans la danse. Vingt ans après, les nouveaux mariés
d’alors fêtent leurs noces de porcelaine. À table, le hasard vous
a placé en face de moi. Vous êtes seul aujourd’hui. Vous me
souriez, vous faites le tour de la table, prenez ma main, « On
y va » me murmurez vous à l’oreille. J’ai attendu ce
moment pendant vingt ans. Pourtant, je réponds « Non, il est
trop tard ». Les papillons dans le ventre sont morts,
l’harmonie est ailleurs.
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Pier
Paolo Pasolini – Sonnets – Gallimard (Poésie) – Édition
bilingue français / italien, traduction : René de Ceccatty.
Troisième
ligne du sonnet de la page 67, celle de la traduction.
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67 - « J’ai osé vous effleurer à peine, mon unique »…
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