lundi 22 décembre 2025

Page 66 - « J’ai osé vous effleurer à peine, mon unique »…

J’ai osé vous effleurer à peine, mon unique malgré nos différences. Tout en moi était alors en harmonie, corps, cœur, esprit. Tout s’est mis à frémir pour vous. Presque tremblante, je me suis reculée pour mesurer si vous étiez aussi troublé que moi. Oser… dire l’émotion, un geste sans équivoque vers vous, une folie, vous enlacez là maintenant, vous embrasser, vous entraîner dans la danse. Pour la première fois, je ressentais dans le ventre ces papillons dont jusque là je n’avais fait qu’entendre parler. Vous avez tendu votre bras, posé votre main sur ma joue, planté vos yeux dans les miens. Et vous avez dit : « Ça ne va pas être possible, ma belle. » Un enfant s’est alors précipité vers vous, vous l’avez pris dans vos bras et avec lui vous êtes entré dans la farandole tourbillonnante. Je suis restée là sur le bord de la piste à vous regarder tourner joyeusement. Ma sœur, dont c’était le mariage s’est approchée, « Quelque chose ne va pas ? m’a-t-elle demandée en me regardant d’un air distrait. « Non, tout va bien » ai-je répondu en l’entraînant dans la danse. Vingt ans après, les nouveaux mariés d’alors fêtent leurs noces de porcelaine. À table, le hasard vous a placé en face de moi. Vous êtes seul aujourd’hui. Vous me souriez, vous faites le tour de la table, prenez ma main, « On y va » me murmurez vous à l’oreille. J’ai attendu ce moment pendant vingt ans. Pourtant, je réponds « Non, il est trop tard ». Les papillons dans le ventre sont morts, l’harmonie est ailleurs.


_______________________


Pier Paolo Pasolini – Sonnets – Gallimard (Poésie) – Édition bilingue français / italien, traduction : René de Ceccatty.

Troisième ligne du sonnet de la page 67, celle de la traduction.

Page 67 - « J’ai osé vous effleurer à peine, mon unique »…


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire