La
mère est au jardin, elle sarcle les haricots. Son fils et sa fille
jouent dans l’allée avec des cailloux qu’ils ont ramassés dans
la cour. Le soldat pousse la porte du jardin, s’approche du petit
groupe. Il est grand, il a les yeux bleus et les cheveux blonds. Il
est de l’armée ennemie, celle qui occupe le pays. D’un geste
tendre, il passe la main dans les cheveux de l’enfant aux cheveux
bruns et aux yeux noirs. La main posé sur le cœur, il dit à la
mère, dans un mauvais français, qu’il a là-bas un fils du même
âge. Des larmes montent dans ses yeux. Il rebrousse chemin et
regagne la grange pour y nourrir les chevaux réquisitionnés. De
cela, il ne sera plus jamais question entre eux.
Bien
des années plus tard, quand sa fille lui annonce, dans le jardin,
près du buis, que sa petite-fille va apprendre l’allemand au
collège, la grand-mère dit que c’est bien. Son regard s’embue,
elle n’ajoutera rien. Toutes les trois prennent chacune une ligne
et commencent en silence à ramasser les haricots. Elles rempliront
un seau qu’elles partageront en deux.
À
l’université, elle décide de partir un an en Allemagne avec le
programme Erasmus. Elle a osé quelques mois auparavant interroger sa
grand-mère sur l’homme du jardin. Elle n’a su lui dire qu’un
nom et un prénom : Günther Hauffe et vaguement une région :
la Saxe. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore, elle a donc
passé des petites annonces dans différents journaux de cette région
afin de retrouver Günther Hauffe.
Quelques
mois après, alors qu’elle est inscrite en sociologie à Mayence,
elle se rend à Brême. Arrivée à la gare, elle prend un taxi pour
se rendre à l’adresse qu’on lui a indiquée en banlieue. Devant
la porte, elle hésite puis tire sur la chaînette de la clochette.
Elle entend des pas sur le gravier, le poussoir qu’on fait glisser
dans le verrou. L’homme qui ouvre est grand, il est blond et il a
les yeux bleus, elle sait que ce n’est pas Günther, il est trop
jeune. Il se présente, Gerhard Hauffe, il est le fils de Günther.
Il l’invite à entrer puis
lui propose de s’asseoir dans le jardin pour discuter. Il va
chercher deux grands verres et une carafe de citronnade.
Ils
commencent par échanger des banalités ; elle parle de ses
études, lui de son métier, il est psychologue. Enfin, ils en
arrivent à leurs familles, à la raison de sa présence ici. Elle
peut enfin poser la question qui lui brûle la langue depuis son
arrivée, il n’a rien voulu dire dans les échanges de courrier ni
au téléphone. Son père, il ne l’a jamais connu ; de France
il a été envoyé en Union soviétique, à Stalingrad où il a
disparu. Il est heureux que quelqu’un lui parle de son père ;
depuis que sa mère est morte, plus personne ne le fait.
Le
fils de Günther qui a appris le français à l’école les rejoint.
Ils échangent quelques mots. C’est lui qui la raccompagnera à la
gare.
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Merci
à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et
constructif.
Superbe
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