Dans
quelques mois, elle passera le bac. Le professeur
d’histoire-géographie a proposé à la classe un voyage dans le
Sud-Est. Elles sont plusieurs à avoir des échanges quelque peu
houleux avec lui, selon son point de vue à lui juste des féministes
et des gauchistes, pas besoin d’ajouter des adjectifs. Pourtant,
elles partiront. Il y aura Nîmes, Arles, Aix-en-Provence, Avignon et
surtout pour elle il y aura la mer. À la mer, elle n’est jamais
allée. Pas vraiment réaliser un rêve, juste l’occasion d’une
nouvelle expérience. Sur le globe terrestre dans la chambre qu’elle
partage avec ses sœurs, elle a bien des fois fait glisser son doigt
pour suivre les voyages des navigateurs et explorateurs ou pour
chercher le lieu où se déroule l’intrigue d’un roman qu’elle
lit. La mer était un horizon pour son imagination, pas pour son
désir.
Aujourd’hui,
elle ne sait plus dire où cela s’est passé mais elle se souvient
toujours de l’émotion face à la mer, à son immensité, les
premières sensations, le sable chaud et doux sous la plante de ses
pieds, la première vague qui frôle ses chevilles, laisser couler le
sable et l’eau entre ses orteils. Elle a emporté son maillot de
bain mais au bain elle a renoncé. Elle n’a pas oublié de mettre
l’écran total car elle a la peau très claire et redoute
par-dessus tout les coups de soleil. Elle se souvient aussi d’avoir
été un peu déçue, l’odeur, il n’y a pas l’odeur iodée à
laquelle elle s’attendait, la mer est plate et calme, d’un bleu
placide jusqu’à l’horizon ; toutefois, de l’horizon elle
ne peut détacher son regard. Parfois, elle se dit qu’elle la
connaît mal, la Méditerranée, qu’elle est injuste avec ses côtes
et leurs paysages.
À
la Grande bleue, elle préfère les eaux gris-bleu de la mer du Nord
et de la Manche, les eaux bleu-vert et outremer de l’Océan. À la
mer calme, elle préfère le mugissement des flots. Quelques années
plus tard, elle découvrira ces rivages occidentaux, les vagues à la
tête blanche roulant à perte de vue sous le ciel, l'odeur de
l'iode, les vagues en mouvement, les ferries qui reviennent des îles
anglo-normandes, les bateaux minuscules qui dansent sur les vagues et
sur l’horizon, les oiseaux blancs qui déploient leurs grandes
ailes, planant, plongeant soudainement vers l’eau et remontant dans
l’azur un poisson dans le bec, au-dessus de la plage et des toits
des villes, les criaillements des mouettes et des goélands.
Elle
garde pourtant un souvenir émerveillé du golfe de Calvi après une
nuit d’orage, les bleus et les verts se mêlant en une palette qui
n’était pas sans lui rappeler celle de la côte d’Émeraude
qu’elle aime tant. À la baignade, elle préfère toujours marcher
au bord de l’eau, il y a le moment où à la limite entre plage et
vague, entre sable et eau, le sac et le ressac déposent des cailloux
lissés par le flux et le reflux, des coquillages nacrés par
l’alchimie de l’eau et du vent. Elle déchiffre les dessins de
l’écume et ceux laissés par la mer lorsqu’elle se retire,
petits ruisseaux où se reflètent les ciels, se faufilent les
crabes, se dispersent les coquillages, les algues et les déchets
abandonnés par les humains.
Elle
n’est pas du matin, elle a vu plus de couchers que de levers de
soleil, elle prétend même qu’une fois elle a vu le rayon vert.
Elle a bien fait quelques promenades en mer mais elle n’a pas le
pied marin, elle est comme attachée à la terre. Entre terre et mer,
elle peut marcher des heures, remettant ses pas dans ceux du passé
ou bien ouvrant des chemins encore inconnus d’elle. Elle s’assied,
elle regarde, surtout écoute. Si la mer est pour elle une source
d’éblouissements visuels, elle est aussi émerveillements pour
l’oreille. Fermer les yeux et ne plus entendre que « la mer,
toujours recommencée », ici ou ailleurs, en réalité ou dans
l’imaginaire. Une
première rencontre en demi-teinte ne
laisse pas fatalement préjuger d’un avenir sombre.
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Merci
à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et
constructif.
La mer monte et se laisse découvrir...
RépondreSupprimerLa mer se retire, la découverte demeure.