mardi 15 août 2017

Et si d’une seule phrase on explorait toute la complexité d’un personnage



 


Tours, Jardin Botanique, c'est le 14 juillet, il fait très chaud, de l'autre côté de la route, l'hôpital, le vieil homme est assis sur un banc, en blouse verte, à son poignet un bracelet avec son nom, dans le pli du coude un cathéter, ce matin l'infirmer lui a fait un prélèvement pour un bilan sanguin puis lui a mis des sangles pour la perfusion sinon il l'arrache, ça lui a redonné des forces ; quand ils ont eu le dos tourné, occupés qu'ils sont à courir dans tous les sens en ce jour férié où la pénurie de personnel se fait sentir plus encore qu'en temps dit normal, il pense qu'il fait trop chaud dans la chambre, qu'il est trop seul, qu'il va aller faire un tour pour s'aérer ; toujours des qui se croient utiles, un couple a appelé l'hôpital qui a prévenu la police -oui, il n'en est pas à son coup d'essai, et alors- et une femme, qui se promenait seule, à qui il a rappelé son père qui avait réussi à fuguer de l'EHPAD pour rejoindre la maison où il avait habité pendant plus de quarante ans, a alerté les pompiers ; maintenant, il est entouré de quatre pompiers et de quatre policiers, ils essaient de le persuader de retraverser la route en sens inverse, il ne dit rien mais résiste de tout son poids, il finit par se laisser convaincre, par céder, il se lève difficilement, son corps ne veut pas accomplir ce que son esprit n'a pas accepté, il se laisse pourtant conduire jusqu'à l'entrée où les pompiers l'allongent sur un brancard -tout ce cinéma pour traverser la route, pense-t-il- ni les pompiers ni la police n'ont le temps de le raccompagner à pied ; la prochaine fois qu'il voudra respirer l'air non empuanti des miasmes (in)hospitaliers, voir un morceau de ciel bleu autrement que dans le cadre d'une fenêtre et entendre chanter les oiseaux, il fera comme son vieil ami, il y a un an.

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Ce texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de l'été 2016 : « Personnages 3 | tout Mauvignier en une seule phrase » proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.









1 commentaire:

  1. la prochaine fois, j'aimerais bien qu'il ne croise pas si tôt les "qui se croient utiles"... Beau personnage, belle phrase!

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