Quand
Dominique m’a invitée à entrer dans cette ronde sur le thème des
accents, je n’ai pensé qu’à celui de ma région d’origine, la
Bourgogne, avec son
r
roulé,
la seule de
ses
caractéristiques encore évoquée aujourd’hui.
Puis,
dans l’après-midi, une étincelle et le chapeau de la cime
tombait
dans l'abîme. Fidèle au rendez-vous du hasard objectif, je ne suis
pas étonnée que RFI, le soir même, rediffuse « La danse des
mots», la très belle émission d’Yvan Amar, consacrée à un
entretien avec Michel Feltin-Palas
sur
le thème : L'accent,
un enjeu de pouvoir
et
qu’ils
évoquent
ensemble
les deux sens de ce mot.
Ce
fameux r, la génération de mes grands-parents voir celle de mes
parents le roulaient plus ou moins comme au fil des saisons les
rivières le faisaient avec
les
graviers. Ce r roulé était aussi celui
des
immigrés
venus
de
Pologne, parfois de
leurs
enfants, qui l’avaient plus ou moins ; j’ignore
si
cela dépendait de leur région d’origine ou de leur niveau
d’assimilation.
Cet
accent-là l’ai-je jamais eu, l’ai-je encore ou l’ai-je perdu
?
Je
me souviens d’une douloureuse séance de lecture à haute voix en
classe
de
CM2. Il y était question de chapeau pointu que je persévérais à
prononcer \pwɛty\ bien
que
l’institutrice s’obstinât en vain à me répéter que je ne
disais
pas \fwɛ\
mais \fwɛ̃\ et
à
me faire rabâcher la phrase.
Je
le retrouve, peut-être moins l’accent que le parler avec ses mots,
ses expressions et sa syntaxe dont
il
est
généralement
indissociable.
Ce vocabulaire imagé
et
affectif
aiguillonne
les
inflexions de la pensée et de la
phrase,
mêlant
des
alluvions
du
Charolais et du Morvan d’où étaient originaires une partie de ma
famille à un parler montcellien.
Quand,
avec ma mère, nous parlions de son cousin, jamais nous ne le
nommions Claude. C’était le Glaude, prononciation rendue célèbre
par le film « La Soupe aux choux » qui se déroule dans le
Bourbonnais, pas si lointain.
Aujourd’hui
encore, il m’arrive souvent de dire « être en feuille » pour
« être en arrêt maladie », expression d’abord employée par
les mineurs mais dont l’usage s’était répandu.
Alors, il
ne me viendrai
jamais
sur la langue de dire
\fœj\,
c’est toujours \føj\
qui
germe.
De
mes études universitaires, je ne me rappelle pas les leçons qui
décryptaient les nuances et les glissements de prononciation et de
sens de ce parler par rapport au français dit standard. Mais, je me
souviens que cet accent, celui qu’enfants nous appelions chapeau et
qui justement n’en porte pas, était comme la cicatrice dans
l'écriture d’un s qui s'était abîmé en chemin. Je n’aime pas
que la réforme de l’orthographe roule la langue en la dépossédant
de ses accents et des traces de son histoire. Mais cela n’est sans
doute que tempeste dans un verre d’eau.
Il
y
a
également l'accent
sur la deuxième partie mon prénom, Noëlle, dont j’ai dû
demander
à la professeure de dactylo comment le réaliser afin de l’écrire
sur la feuille de
renseignements.
C’était lors
de
la première leçon
que
j'aurai assurément oubliée sans cet embarras fondateur.
Je
n’abandonnerai pas les accents, ils sont le sel de la langue, ils
sont le
sel
sur
ma
langue !
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Ce
texte a été publié pour la première fois sur « Promenades
en Ailleurs »,
le blog de Marie-Christine
Grimard,
dans le cadre
de
La Ronde de septembre 2017.
vous connaissez sans doute ce passage de Colette qui en parlant des vins de bourgogne qu'elle dégustait enfant en rentrant de l'école étaient comme ces r qui lui roulaient dans le fond de la gorge ;-)
RépondreSupprimerPour avoir déjà écouté des entretiens radiophoniques avec Colette les r roulaient vraiment au fond de sa gorge comme des cailloux dans le torrent. Ce n'est pas le seul intérêt de ces entretiens ; en particulier ceux avec André Parinaud alors à ses débuts.
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