mercredi 19 juin 2019

Rituels...

Au premier week-end ensoleillé de mai, prendre le bus 24 depuis École Vétérinaire jusqu’à Jardin des Plantes, continuer par une visite du Jardin qui s’achèvera à la terrasse du café maure de la Mosquée de Paris. Dans la solitude, entourée de la foule, écouter son bourdonnement intérieur et s’ouvrir à ce qu’il y a autour de soi. Difficile quand on est accompagnée.
D’abord le bus 24, depuis fin avril, ils en ont modifié le trajet, mais ça ne change rien pour moi, le 24 donc d’École Vétérinaire à Jardin des Plantes. J'avais cru que le changement de parcours et la réduction de sa longueur rendraient les déplacements plus fluides, eh bien non ! Le conducteur nous annonce que nous n’irons pas jusqu’au bout.
Dans les transports franciliens, la semaine, les voyageurs sont seuls la plupart du temps, ils lisent, écoutent de la musique les écouteurs sur ou dans les oreilles, regardent des films sur leurs smartphones ; si je devine une conversation, elle est souvent relative au travail, plutôt aux collègues de travail, est-ce indispensable de dire qu’elles sont plus perfides qu’élogieuses. Et puis, les personnes qui parlent au téléphone comme si elles étaient chez elles. Enfin, celles qui parlent toutes seules. Le week-end, les groupes d’amis, les familles, cacophonie, conversations animées, éclats de voix, de rires. La semaine, c’est moins confortable. Se mélangent les odeurs d’aisselles, de sueurs et de parfums, de déodorants, je ne les aime pas plus les unes que les autres, toutes m’importunent. Les vibrations attisent les douleurs ensommeillées par le repos. Le pire des inconforts, être debout et le pire du pire être serrés comme dans une boîte à sardines, devoir éviter les contacts, pouvoir se tenir à une barre verticale, trop petite pour atteindre les horizontales accrochées au plafond. Heureusement, le sac à dos adopté pour contrer les douleurs évite les contacts indésirés et indésirables. C’est le week-end, alors j’oublie tout ça.
Une famille -la mère, deux filles, le père, un fils- monte dans le bus en même temps que moi. Pas toujours facile les ados, l’une d’elles refusent de s’asseoir avec les autres ou juste de l’autre côté de l’allée, à côté de moi. Elle marmonne, se désolidarise, bientôt rejointe par le père. Chaque groupe poursuit une conversation, je n’entends rien, le moteur est trop bruyant, je perçois le ronron des échanges autour de moi, pas la teneur. Le bruit des portes qui s’ouvrent, “On descend” crie un enfant, et se ferment ; à l’arrêt, comme le bus se fait moins ronflant, je les entends qui jouent à un jeu, entre quiz culture et devinettes. Ça me rappelle les jeux auxquels nous jouions enfants lors des voyages en voiture. Une voix féminine et enregistrée annonce tous les arrêts. La même sur toutes les lignes, du moins c’est ce qu’il me semble. C’est bizarre, ça m'agace. C’est une voix synthétique qui se veut naturelle, ils auraient pu la diversifier en fonction des lignes. Mais non, partout la même, le choix résulte sans doute d’une savante étude, entre audibilité et neutralité. Tout près, un jeune couple discute, j’entends “piste cyclable”, ils auraient peut-être dû prendre un vélo plutôt que le bus qui est maintenant bloqué, j’apprendrai plus tard que c’est lié aux manifestations dans Paris.
Maintenant traverser la route, pas facile malgré le feu, faire attention aux vélos et aux trottinettes qui se faufilent sur le passage piéton. Enfin ! entrer dans le Jardin. Franchir la grille comme une frontière, l’impression d’être dans un endroit calme, on n’entend plus la rumeur des voitures, là juste derrière la grille. Cris rauques des corneilles qui attaquent et chassent les pigeons auxquels elles disputent les miettes des promeneurs autour des kiosques et des tables de pique-nique. Près de la ménagerie, les remugles âcres des urines, les cris des animaux que je ne sais pas identifier, des chants d’oiseaux, des trilles légères et argentines. Le sable mêlé à de petits graviers qui entrent dans les chaussures ouvertes pour que les orteils s'aèrent, ça gêne, s’asseoir sur un de ces nouveaux bancs en métal, froid en hiver et chaud sous le soleil, regretter les anciens en bois, peints en vert, moins profonds, plus raides mais confortables au final. Le sable qui crisse sous les pas des visiteurs, l’élan plus rapide et plus léger des coureurs, le glissement continu et tranquille des roues des poussettes d’enfants, plus rare, celui des fauteuils roulants.
Pénétrer dans le petit jardin juste après la Galerie de Botanique. L’odeur des roses en buisson ou grimpantes sur les tonnelles et celle de la terre fraîchement arrosée. A l’approche de la Galerie de Minéralogie, s’y mêlent des statues et quelques spécimens géologiques, le grès de Fontainebleau aux bosses et vagues éléphantesques, pourtant au toucher ça n’a rien à voir avec de la peau d’éléphant, sourire, je n’en ai jamais touché de peau d’éléphant, le tronc de cyprès fossile à la texture fibreuse et crevassée, finalement plus minérale que végétale, le marbre du Boulonnais, lisse avec des îlots plus granuleux ; réunis sur un même socle, le talc de Luzenac et les orgues basaltiques. Plus loin, le granit de Sidobre dont la forme m’évoque celle d’un œuf, un œuf pas ovale qu’un oiseau, un animal aurait eu bien du mal à pondre ; l’ardoise de Trélazé dont les lignes noires, plus ou moins marquées et irrégulières, réveillent le souvenir des œuvres de Pierre Soulages. Et toujours, presque inquiétant, le criaillement des corneilles. Le gypse avec ses petites forêts végétales et touffues et ses arêtes qui écorchent les doigts.
Des enfants font irruption de la Grande Galerie de l’Évolution, des cris, des jeux, de l’impatience. Sortir par le haut du Jardin. Juste la rue à traverser pour me retrouver à la terrasse du salon de thé de la Mosquée de Paris. Aller chercher une corne de gazelle et deux baklavas, l’une aux noix et amandes, l’autre aux pistaches, à la pâtisserie. Ensuite, le plus compliqué, trouver une place où s’asseoir. Ça y est, finalement ce n’est pas si difficile quand on est seule. Une fois installée, attendre qu’un serveur passe et remplisse un petit verre de thé à la menthe brûlant et délicieusement sucré, comme je ne bois jamais rien trop chaud, patienter en commençant par la corne de gazelle, c’est le moins gras et le moins sucré des gâteaux choisis. Dans l'harmonie, cohabitent le figuier et l'olivier, la brise mêle le bruissement des larges feuilles de l’un et le friselis argenté de l'autre.
Montent dans le bleu du ciel l'odeur des chichas et le chant de l'eau de la fontaine. À l'ombre des deux arbres enlacés, les gourmands, les pigeons et les moineaux se partagent l'espace, les volatiles les miettes qui ont échappé aux premiers. Les pigeons s'arrogent celles qui tombent au sol, les moineaux plus agiles et moins farouches picorent à même les tables, ces tables de mosaïques bleues et blanches trop petites pour y poser autre chose que les douceurs. Faire attention à mon assiette, parfois les moineaux s’enhardissent et ne se contentent pas des miettes. Le miel des baklavas fond délicieusement dans la bouche fusionnant au thé à la fois âpre et doux. En prendre un second quand passe le serveur. Les murmures autour de moi s’évanouissent, les oiseaux se taisent, mes pensées s’envolent vers d’autres temps, d’autres lieux. Quand je reviens au monde présent, j’avale le fond de mon verre, il est temps de prendre le chemin du retour.
Ce rituel gourmand et printanier a son pendant hivernal dans un autre quartier de Paris, la Caravane dans le Marais.
-----------------
Merci à Frédérique Anne (Oser Écrire) pour son regard bienveillant et constructif.



2 commentaires:

  1. Le café (on devrait dire "le thé", en effet brûlant mais délicieux) de la Mosquée de Paris donnerait envie de se convertir à l'Islam si ses préceptes n'étaient pas aussi rigides !

    Le lieu est hélas bourré de touristes (il doit figurer sur tous les guides étrangers).
    Son couscous est aussi hautement recommandable !

    RépondreSupprimer