Sauter
à pieds joints dans les graviers pour le plaisir d’esquiver
l’escalier à une seule marche, comme pour le narguer. Respirer
l’odeur du seringa qui sépare notre cour de celle des voisins ;
quelques pas vers la cabane dite de devant car juste en face de la
porte de derrière. Dans celle-là, trois armoires contenant
conserves et confitures, ustensiles de cuisine et linge de maison peu
souvent utilisés et nos vélos. Deux autres attenantes : une
pour entreposer les boulets de charbon employés pour le poêle et la
chaudière et celle du fond, plus un débarras.
Ouvrir
la porte et sortir le mini-vélo jaune. Longer le garage en bois
jusqu’à la petite place où mon père gare la voiture avant de la
rentrer. Faire un arrêt près du compartiment où est stockée la
boue pour le chauffage ; presque au bord du trottoir, avant de
s’élancer, regarder à droite et à gauche bien que les
automobilistes, tous parents d’enfants du quartier, soient très
attentifs.
Descendre
la rue Jacquard avec un regard pour chaque couple de maisons jumelles
dont je connais tous les locataires ; ici un bonjour à une
copine là un signe à une vieille dame. A la moitié de la rue, un
puits identique à tous ceux qui émaillent la cité afin de donner
aux mineurs l’accès à l’eau potable mais ne servant plus qu’à
l’arrosage des jardins.
Arrivée
en bas de la rue, engager le virage avec prudence et détermination.
Faire bien attention à toutes les rues qui viennent de la droite car
dans la cité pas de stop, c’est le règne de la priorité à
droite.
Parvenue
à la fronde que forme l’embranchement de la rue Buffon et du
boulevard de Verdun, continuer presque tout droit sur celui-ci. Une
dernière priorité à droite avant de virer à gauche sur la route
de la ferme. De chaque côté, les prés, celui des vaches à
senestre et celui des cochons à dextre, les regarder en évitant de
se retrouver dans le fossé aux orties pas très accueillant pour les
fesses.
Dans
la cour, faire attention au Black, brave chien de berger, qui se
précipite inévitablement pour manifester sa joie malgré tous les
embêtements subis dans notre enfance. Jeter le vélo contre le
grillage qui clôture la petite cour autour de l’appentis vert où
mes grands-parents et ma tante vendent les produits de la ferme aux
habitants de la cité ; c’est matin et soir le lait
fraîchement tiré,
tout au long de la journée les fromages de chèvres et les œufs et
aussi, plutôt en fin de semaine, les volailles et les lapins vivants
ou tués, prêts à cuisiner.
Jeter
un coup d’œil dans la volière entourée de roses et de dahlias où
roucoulent les tourterelles. Se précipiter dans la bassie
pour déguster les douceurs préparées par ma grand-mère et les
cheuneries
à choisir dans la magasinette,
le tiroir de l’armoire de la chambre du fond -inoccupée- où la
verveine cueillie au jardin sèche sur le lit répandant son parfum
si caractéristique.
A l’adolescence, le même chemin avec le vélo bleu et la rejoindre
dans la salle à manger pour l’initiation aux travaux d’aiguilles,
à ces ouvrages qu’on dit de dames.
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Ce
texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de
l'hiver 2016-2017 : « du
lieu, 2 | le mouvement, mais sans verbe »
proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.
"... celui des vaches à senestre et celui des cochons à dextre ..." Superbe texte .
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