Aujourd'hui,
la
ronde,
s’enroule et se déroule sur le thème « Désert(s)
».
Le
principe,
aussi simple que la danse enfantine : le premier écrit chez le
deuxième, qui écrit chez le troisième, et ainsi de suite.
Ce
mois-ci, j'ai le plaisir de recevoir Giovanni
Merloni
qui est l’auteur du blog : « Le
portrait inconscient ».
Merci
à tous les deux, à tous ceux qui font la ronde et à leurs
lecteurs.
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« Ils
ont fait un désert et l’ont
nommé Paix… »
Le
Nil vu de l'avion, janvier 1983
|
Dans
les adorées cartes muettes de mon adolescence — où
les mers et les fleuves prenaient
orgueilleusement le dessus vis-à-vis du réseau
des villes, des routes et des lignes ferroviaires — avec
les volcans, les failles géologiques et
les tremblements de terre, les déserts
figuraient surtout comme un phénomène de
la Nature ayant sans doute la fonction de rappeler aux humains que
rien n’est acquis à jamais, parce que tout demeure dans un
équilibre plus ou moins précaire :
tout change continuellement, il faut donc faire toujours attention…
Le
désert qu’on voit d’en haut de l’avion
descendant sur Le Caire, ressemble aux dunes qui longent les océans
et les mers. Également, une plage méditerranéenne
assiégée par le soleil d’été
évoque en moi le désert,
un endroit redoutable où l’on
peut facilement se perdre et mourir de soif.
Cela
entraîne aussi des personnages emblématiques,
comme Saint Antoine harcelé par le Démon,
ou l’ambigu Lawrence d’Arabie, ou alors les archéologues
qui ont creusé les sables à la
découverte des civilisations ensevelies avec
leurs alliés les spéléologues,
toujours prêts à se faufiler dans les
abîmes et les galeries souterraines les
plus effrayantes.
Avec
son hypothèse de mirages et de mondes mystérieux
qui bougent jour et nuit au-dessous d’une
immense surface inhospitalière, le désert
garde dans notre culture occidentale un charme contradictoire, comme
tous les extrêmes d’ailleurs. Voilà alors que le désert
est convoqué dans nos métaphores
quotidiennes :
« On
a dû traverser le désert,
avant d’atteindre un peu de bonheur et tranquillité… »
Ou
alors dans certaines expressions emblématiques :
« (au
Viêt Nam) les États-Unis ont fait un désert
et l’ont nommé Paix… »
« …
en ce désert surpeuplé qu’on
appelle Paris… » (s’exclame
Violetta dans la Traviata de Giuseppe Verdi)
et
cætera…
Cependant,
toutes ces images risquent de devenir anachroniques de nos temps
méchants, où le
désert a cessé désormais
de se figer qu’en métaphore
des hauts et des bas de la planète. Parce qu’aujourd’hui une
pareille sensation de manque (et disparition de la vie animale et
naturelle) est partout et nulle part, tandis que la notion même
de désert se décline et se multiplie de façon
impressionnante en contribuant de plus en plus, hélas, à
la désertification de notre espérance
de vie.
Dans
les années 1960, en Italie, les rares
personnes qui en avaient la conscience, s’inquiétaient
vivement et criaient vainement au scandale pour l’édification
sauvage qui serrait dans un étau de béton
les Temples d’Agrigento, par exemple, ou pour la destruction des
côtes, jusque-là presque intactes, où
proliféraient sans aucune règle les
lotissements de villas privées. Et l’on
n’était qu’aux exordes d’un
phénomène de
« désertification
immobilière » qui
a progressivement appauvri notre pays sans pour autant enrichir les
communautés au fur et à mesure
concernées.
Je
vois maintenant qu’une massive urbanisation sans scrupule ni loi se
déclenche aussi autour des pyramides du
Caire : le désert de béton
est en train d’engloutir l’ancien désert
de sable ayant la fonction, depuis des siècles, de « filtre »
ou de « jardin » vis-à-vis
du plus extraordinaire site archéologique
de la Terre !
Certes,
rien n’est vraiment définitif
sur les cinq continents. Les Pyramides retrouveront un jour, sans
doute, l’aura incontournable que ces assauts irresponsables sont en
train de leur enlever. Et les forêts aussi, ces poumons
indispensables pour la vie animale, résisteront
à la faux assassine où seront
remplacées, un jour…
On
pourrait écrire des livres et des livres
pour témoigner un à un les crimes contre
la Nature que les hommes sont en train de perpétrer,
en expliquant (moi aussi j’ai essayé
de le faire) les logiques perverses et souvent
criminelles où l’indifférence
et la vénalité fusionnent sous la
bénédiction d’un capitalisme de plus en
plus malade et agressif.
Atterrissage au Caire, janvier 1983 |
Mais
à quoi bon en parler, s’il n’y a pas
quelqu’un capable de travailler dans le sens contraire de toutes
ces destructions, voire dans la bonne direction ? À
quoi bon jouer du scandale comme s’il s’agissait
d’une harpe mélancolique
qui résonne dans un vide de mort au
lendemain d’une nouvelle Hiroshima ? J’ai
toujours cru que les humains, chacun dans sa spécificité,
garderont toujours assez d’intelligence et de savoir-faire pour
« repartir de trois » (comme le
disait l’inoubliable acteur-réalisateur
Massimo Troisi) après la débâcle d’un
système économique et
social qui ne marche pas (surtout quand on prétend
de le remettre « en marche »,
en insistant sur des « réformes » qui
se sont déjà révélées en
d’autres pays nuisibles pour la société
et la démocratie).
Pour
repartir, comme après un écrasant
chagrin, il nous faudra un peu de silence, beaucoup de vigilance
républicaine et… des
hommes et des femmes de bonne volonté.
Oui,
je ne crois pas aux génies, auxquels je suis prêt
à accorder les droits d’auteur pour
d’éventuelles découvertes scientifiques
ou des innovations technologiques positives. Mais les gens trop
intelligents (surtout ceux qui prétendent
l’être) devraient être regardés avec
respect… donc avec le légitime
soupçon qu’ils ne seraient pas à la
hauteur de diriger les vies des autres ni de faire vraiment du bien
pour les autres. Sauf des exceptions, bien sûr, notamment dans le
monde de l’art…
Oui,
dans le silence qui succédera à la
désertification violente et belliqueuse à
laquelle nous assistons dans un angoissant sentiment d’impuissance,
ce seront surtout les travailleurs honnêtes, les bons pères et
mères de famille, les gens qui offriront humblement leurs habiletés
et expériences comme un service, qui
pourront remettre debout le pantin et reconstruire le jouet
irrémédiablement cassé.
Des
hommes et des femmes de bonne volonté,
guidés, comme les personnages de José
Saramago dans « Aveuglement »,
par quelqu’un qui a encore les yeux bons pour voir où
mettre les mains et les pieds.
En
cette hypothèse d’optimisme
désespéré, l’homme extraordinaire « qui
plantait des arbres » dans le
merveilleux livre de Jean Giono, s’avère,
encore plus aujourd'hui, comme une figure exemplaire et charismatique
dont la route vertueuse devrait être indiquée
aux nouvelles générations :
« Quand
je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources
physiques et morales, a suffit pour faire surgir du désert ce pays
de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est
admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu
de constance dans la grandeur d’âme et d’acharnement dans la
générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense
respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien
cette œuvre digne de Dieu. » (1)
Giovanni
Merloni
(1)
Jean Giono : L'homme qui plantait des
arbres (1983), Collection
Folio Cadet, Gallimard Jeunesse, 2002
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En
ce 15 juillet de l’an de grâce 2018, entrent dans la ronde des
« Désert(s) »…
Dominique
Autrou chez
Dominique Hasselmann : Métronomiques,
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