Quand Noëlle Rollet (@selenacht)
m'a proposé de participer à cette dissémination, j'ai presque
immédiatement pensé à la série de textes de Lambert
Savigneux
(@lamazezen)
intitulée
« De l'eau sous le menton : Carnet de note japonais » que j'avais
lus en suivant le courant de l'année 2014.
Je les ai relus et mon choix s'est arrêté sur la publication qu'il a consacrée à Chigusa Soun (1873-1944) le 5 février 2014 ; un an déjà avait passé…
L'auteur m'a aimablement autorisée à disséminer ce texte malgré l'imprécision de ce que je comptai faire à partir de son travail : je vais essayer d'écrire avec deux contraintes : utiliser 5 à 10 mots "choisis au hasard" dans votre texte, deux ou trois poèmes de formes "fixes" japonaises et/ou occidentales.
Je le remercie ici de son amitié toute « twitte(re)sque » et de sa confiance.
Chigusa
Soun (1873-1944)
S’il n’avait peint que cette encre, Chigusa Soun aurait pu s’asseoir content, son coup de pinceau lui a gagné l’éternité. J’ai le même sentiment qu’avec les études à la gouache de Constable. Une peinture qui soudainement apporte tout. D’emblée la plénitude du paysage dans la brume ou sous la pluie, la densité et la légèreté de la lumière et les odeurs que l’eau ravive, la terre enfin vivante quand elle est mouillée que montent les nuées et que l’encre et le lavis du papier se mettent à parler de la peinture à venir sans rien tenter de décrire, la sûreté seulement du pinceau et sans que rien ne l’ai laissé présager. L’artiste japonais occupé à dessiner des fleurs, à faire de son mieux en suivant les enseignements stricts et attaché à la tâche, ne l’a pas vu venir, comme d’autre avant lui, il s’est oublié et d’un seul coup à laissé entrer l’encre et le papier. Des siècles de travail et la fulgurance de la compréhension intime du monde. Un zeste de zen au moment où le travail s’interrompt.

Il faut oublier cette impression de fulgurance géniale. Soun n’est pas n’importe qui. C’est élève de Takeushi Seiho, l’un des maître les plus importants du Nihon ga, littéralement peinture japonaise, cherchant à unifier dans cette fin de l’ère Meiji, l’essence de la peinture japonaise avec le développement de la modernité occidentale, recherchant la peinture japonaise par excellence.
Mais
Chigusa Soun fut animé par une volonté radicale de changement dans
la vision japonaise de la peinture, en cela il diffère de beaucoup.
L’on est frappé en découvrant ces œuvres de la matière brute,
où le monde est dépeint sans le moindre recours à une sorte
d’esprit de sympathie, il n’y a pas de recul ou d’estrangéité
entre le monde et moi, est il de même essence, dépouillé de
l’esthétisme et comme regardant sans complaisance le monde
par des yeux qui ne transigent pas, marquent la perception dans la
peinture ou l’encre. Sans raccourcis. C’est cela que nous
apercevons dans ces peintures, peu de peintres au Japon ont pratiqué
la peinture à l’huile de façon frontale, comme si cela était
primordial de puiser dans la réalité sans fard les épuisements et
les ressources d’un monde dans sa matérialité énergisante.

C’est
cela, sans doute, qui nous rend cette encre si proche, ce détail
qui pourrait être l’œuvre elle même, synthèse de l’art de
l’encre, sa finesse, brutalité et densité d’une matière à
même d’écrire l’essence de notre présence au monde, qu’un
jour de brume dans les montagnes, nous percevons dans cette vapeur
de l’eau qui monte avec nos corps et la vision estompée du
paysage tout autours, habité et essentiel que l’oeil peut enfin
tout embrasser. De plein pied dans l’humidité chargée du papier.

Chigusa Soun, dans sa quête de vérité et de renouvellement, fut aussi un progressiste attiré par le petit peuple et la promesse de d’une beauté cachée dans les recoins sans masque de l’humanité. Que se soit dans les traits fatigués d’une femme au travail, plus belle peut être que la beauté masquée, peinture de paysage sans verticalité ou un bosquet est choisi pour la beauté non particulière et comme anodine et qui pourtant résume sans bruit l’inénarrable que le monde a de vrai.
Chigusa Soun a choisi d’encrer son regard, déterminant
une autre route peut être inhabituelle pour le Japon. sans chemin
par le regard, l’encre ici parvient à la parfaite synthèse en
restant muet sur les beautés idylliques et rejoignant les fastes de
la calligraphie, l’on aperçoit les vitalités du Sho.
Pour cette dissémination, ma proposition était
finalement la suivante :
Ecrire avec deux "contraintes" :
- utiliser 5 à 10 mots "choisis au hasard"
dans le texte. Voici donc les dix mots que vous pourrez retrouver dans les poèmes : modernité, plénitude, fulgurance, vapeur, promesse, regard,
encre, lumière, odeurs et brume.
Ces deux formes "parentes" permettent un
entrecroisement thématique de l'observation du monde et de
l'intimité qui se prête tout à fait à l'évocation "du temps
qu'il fait", "du temps qui passe".
Au-delà des contraintes, je me suis aussi laissée
porter par les deux encres et le diaporama que le texte accompagne.
TANKA MÉLANCOLIQUE
POÈME COURT
Par-delà la brume
que
nul regard ou lumière
ne
peut traverser,
ta
voix que j'ai crue éteinte
nous
encourage et rassure.
Bande-son (Musique du Japon Impérial : Rokudan)
Bande-son (Musique du Japon Impérial : Rokudan)
MODERNITÉ
PANTOUM MÉLANCOLIQUE
PANTOUM MÉLANCOLIQUE
Assise seule sur le seuil,
Odeurs de l'automne en cohorte.
De l'enfance faire le deuil,
Pour toujours, refermer la porte.
Odeurs de l'automne en cohorte,
Signes des frimas à venir,
Pour toujours, refermer la porte
Sur la vapeur du souvenir.
Signes des frimas à venir,
Le soleil tamisé ravive
Sur la vapeur du souvenir
La promesse que demain vive.
Le soleil tamisé ravive
Les mots que l'encre bleue renoue,
La promesse que demain vive,
Que ta vie se reflète en nous.
Les mots que l'encre bleue renoue
Dans le ciel ; naît la certitude
Que ta vie se reflète en nous,
Fulgurance, la plénitude.
Dans le ciel, naît la certitude.
Le dernier chant du bouvreuil,
Fulgurance, la plénitude,
Fulgurance, la plénitude,
Assise seule sur le seuil.
Bande-son
(Kaddish de Maurice Ravel)
