« Donne-leur
le repos éternel, Seigneur, et que la lumière éternelle les
illumine. Le juste restera dans un souvenir éternel, duquel il n'a
pas à craindre une mauvaise réputation. » (Requiem,
Graduel)
1
- Absence, Boulet, Chevalement, Deuil, Étayer, Fossile, Grisou,
Houille, Intimité, Jardin, Khôl, Lampe, Musette, Noir, Outils,
Père, Quartier, Respirer, Sainte-Barbe, Tabac à chiquer, Usure,
Veine, Wagon, Xylophage, Yeux, Zola…
2
– Sous-sol
-
Mine
– Gisement
– Faille
-
Affleurement
– Couche
– Filon
– Veine
-
Carottage
– Extraction
Charbon
– Boulet
– Briquette
– Poussière
– Houille
– Anthracite
– Coke
– Graphite
– Lignite
– Tourbe
Aux
mines
de
Blanzy,
c’était
du
charbon
maigre
anthraciteux...
Mine
souterraine
– Mine
à
ciel
ouvert
(Découverte)
– Fosse
– Taille
– Puits/Galerie
– Tranchée
– Boisage
-
Fond/Jour
-
Terril
– Carreau
– Gribble
(Crible) –
Salle
des
pendus
– Douche
– Lampisterie
-
Lavoir
Mineur
de
fond
– Équipe
– Boiseur
– Boutefeu
-
Haveur - "Mon homme"
Houillère
– Charbonnages
– Bassin
minier –
Paternalisme – Grève – Solidarité - Nationalisation – Statut
du mineur
Grisou
– Poussière
– Coup
de
poussier
– Silicose –
Monument à la mémoire des victimes de la mine
...Il
y
a
250
à
300
millions
d’années,
à
la
fin
de
l’ère
primaire,
pendant
la
période
carbonifère,
la
forêt
hercynienne
couvrait
de
vastes
étendues.
Les
débris
végétaux
se
sont
accumulés
et
ont
été
recouverts
par
une
faible
niveau
d’eau,
ils
ont
été
recouverts
de
sédiments
argileux
ou
sableux,
puis
des
alluvions
s’y
sont
ajoutés.
Enfermés
à
l’abri
de
l’air,
le
dépôt
végétal
a
fermenté
et
s’est
enrichi
en
carbone.
Il
a
fallu
des
millions
d’années
pour
que
le
végétal
se
transforme
en
minéral, le
charbon
né
de la
pourriture
des
fougères,
des
pierres
et
d’arbres
géants,
puis
de
leur
pétrification
en a quelquefois gardé l'empreinte, noir sur noir, parfois
en volume des traces animales,
l’empreinte
des feuilles
si
finement
découpées
d’une
fougère Je ne
peux jamais regarder les œuvres de Soulages, son outrenoir, ses
reliefs, ses entailles et ses sillons dans la matière noire, sans
penser à ces fossiles.
Il
a
fallu
des
millions
d’années
pour
que
le
végétal
se
transforme
en
minéral. On
nous
dit
aujourd’hui
que
nous
avons
épuisé
les
énergies
fossiles,
qu'elles sont
présentes
en
quantité
limitée
et
non
renouvelable,
on
nous
dit
aujourd’hui que
les
centrales
à
charbon
contribuent
au
réchauffement
climatique
en
libérant
du
CO2
et
bien
d’autres
gaz
à
effet
de
serre
en
excès.
3
-
Sur
une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de
ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire
thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que
nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le
charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos
parents à l’Éhpad.
La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans
la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté
la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la
garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui
manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans
toutes les boutiques de cadeaux de la région, celle qu’il fixait
sur le casque.
Au
fond,
pas
de
nom,
un
matricule
et
un
numéro
de
lampe. Sale,
non
pas
sale,
incrusté
de
poussière
de
charbon
et
là
où
des
morceaux
sont
tombés,
le
casque
remplissant
son
rôle
et
protégeant
le
père
d’une
blessure
à
la
tête,
des traces
plus
marquées. Le
casque, en plastique, est issu d'une autre énergie fossile, le
pétrole. Ce
qui
n’est
pas
là,
la
lampe,
elle
était
déposée à la lampisterie où elle était rangée et entretenue par
le
lampiste,
il
ne
devait
pas
en
manquer
une,
on
savait
ainsi
que
tous
étaient
bien
remontés
et
c’était
essentiel
quotidiennement,
c’était
impératif
quand
il
y
avait
un
accident,
ou
pire,
une
catastrophe,
la
catastrophe,
c’est
un
coup
de
poussier,
la
poussière
s’embrase
au
contact
d’une
étincelle,
on
mouille
sur
les
chantiers
pour
l’éviter,
quand
ça
arrive
c’est
le
plus
souvent
parce
que
la
sécurité
a
été
négligée
au
profit
du
rendement,
ou
le
coup
de
grisou,
un
gaz
invisible
et
inodore,
composé à plus de 90 % de méthane, on
raconte
que
bien avant
les
outils de
mesure
modernes,
c'est
un
canari
que
les
mineurs
de
charbon
descendaient
avec
eux,
quand
l'oiseau
ne
chantait
plus,
c'est
qu'un
coup
de
grisou
était
probable,
la
mine
était
alors
évacuée,
d’autres
soutiennent
que
c’est
une
légende ;
aujourd’hui
les
mines
françaises
sont
toutes
fermées
mais
des
coups
de
grisou
ont
encore
lieu
partout
dans
le
monde, dans
des pays où l'économie en plein développement ne permet pas de
renoncer à cette énergie facile d'accès et peu coûteuse, même au
prix de vies humaines. Au fond, il
était
interdit
de
fumer,
mon
père
ne
fumait
pas,
ceux
qui
ne
pouvait
se
passer
de
tabac
chiquait,
il
fallait
éviter
l’étincelle
qui
pouvait
enflammer
le
gaz
pernicieux,
la
poussière
aussi.
4
– Pendant
le
temps
où
il
travaillait,
il
ne
nous
a
jamais
beaucoup
parlé
de
ses
conditions
de
travail,
ce
n’est
que
bien
des
années
plus
tard,
alors
que
nous
visitions
tous
ensemble
le
Musée
de
la
Mine
guidés
par
un
ancien
mineur,
il
n’en
reste
guère
aujourd’hui,
le guide raconte
qu’il
fallait
pendre
les
musettes
contenant
le
casse-croûte
afin
qu’il
ne
soit
pas
mangés
par
les
rats ;
là,
le
père
nous
regarde
et
nous
dit
que
c’est
vrai.
Les
chevalements ça faisait un peu penser à la tour Eiffel, il n’en
reste qu’un celui du Musée, tous les autres ont été démantelés
pour des raisons de sécurité ou des raisons plus obscures, effacer
la trace d’un passé ouvrier, effacer le souvenirs d’un peuple de
travailleurs solidaires et combatifs. À un moment donné, il a même
été question de rebaptiser Montceau-les-Mines,
Montceau-en-Bourgogne, c’est frôler le grotesque, ça pourra
peut-être se faire un jour quand tout aura été oublié, ceux qui
se souviennent sont de moins en moins nombreux.
Le
mouvement de la roue rythmait la vie du mineur tout comme le poste
qu’encadraient la descente et la remontée de la cage, c’est
ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait le mineur vers le
fond ou le ramenait vers la lumière. Ça rythmait aussi celle de la
mère pour la préparation des repas, la nôtre aussi, il ne
travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du matin
ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il
partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des
postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur
du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans
couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses
peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils
traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui,
une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de
suie même après la douche, quand il rentrait à la maison, la
première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le
casque incrusté
de
poussière
de
charbon
et
là
où
des
morceaux
sont
tombés
des traces
plus
marquées ;
dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière
qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui
fait tousser, qui empêche de respirer, sur le corps du père, les
traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et sur le genou,
suites d’accident dus au travail, ces tatouages bleus, ces
tatouages
involontaires qui racontaient une histoire, son histoire.
5
– Sur
une étagère, le casque de mineur de mon père est là, au centre de
ce qui n’est pas vraiment un autel, plutôt un espace de mémoire
thématique avec des livres, des CD et LA photo, la seule photo que
nous ayons de lui au fond. Quelques boulets qui restaient dans le
charbonnier lors du déménagement après que nous ayons conduit nos
parents à l’Éhpad.
La ceinture et le casque ont été retrouvés au même moment, dans
la cabane de devant, je crois que c’est mon frère qui a emporté
la musette, à moins que son état ne nous ait pas permis de la
garder. Le casque avec le logement pour la lampe, en creux, ce qui
manque, c’est la lampe, pas celle fausse qu’on peut trouver dans
toutes les boutiques de souvenirs de la région, celle qu’il fixait
sur le casque.
Au
fond,
pas
de
nom,
un
matricule,
un
numéro
de
lampe et un
sobriquet, le sien c'était P'tit Louis. C'est ainsi que
l'appelaient, lorsqu'ils se croisaient en ville ou sur le marché,
les autres mineurs qui avaient fait équipe avec lui.
À
l’Éhpad,
un
monsieur
qui
rendait visite à son
épouse
dont
il
ne
pouvait
plus
prendre soin à
la
maison,
passait
toujours
le
voir,
le
saluer,
et
ce
jusqu’au
dernier
jour, jamais
il n'a utilisé notre nom de famille, tout le temps P'tit Louis.
Toujours,
lorsque
nous
étions
là,
il
nous
disait
son
admiration
pour
le
travailleur,
le
mineur
qu’avait
été
notre
père.
Pendant
le temps où il travaillait, il ne nous a jamais beaucoup parlé de
ses conditions de travail. Ce n’est que bien des années plus tard,
alors que nous visitions tous ensemble le Musée de la Mine guidés
par un ancien mineur, il n’en reste guère aujourd’hui, le guide
raconte qu’il fallait pendre les musettes contenant le casse-croûte
afin qu’il ne soit pas mangés par les rats ; là, le père
nous regarde et nous dit que c’est vrai.
Le
mouvement de la roue du chevalement rythmait notre vie : la vie
du père, avec le poste qu’encadraient la descente et la remontée
de la cage, c’est ainsi qu’on appelait l’ascenseur qui emmenait
le mineur vers le fond ou le ramenait vers la lumière ; la vie
de la mère pour la préparation des repas, la vie des enfants aussi,
il ne travaillait jamais la nuit mais en fonction qu’il était du
matin ou du soir, en alternance une semaine sur deux, les repas qu’il
partageait avec nous n’étaient pas les mêmes.
Des
postes entiers à respirer la poussière dans le bruit et la chaleur
du fond, éreintés et en sueur, des hommes sans race et sans
couleur, tous les visages noircis, des gueules noires que les épouses
peinaient à reconnaître quand lors d’un incident, ils
traversaient la cité après être sortis par un autre puits, lui,
une gueule noire au yeux gris-bleu rougis de poussière, cernés de
suie même après la douche. Quand il rentrait à la maison, la
première chose qu’il faisait, il embrassait femme et enfants.
Le
casque incrusté
de
poussière
de
charbon,
là
où
des
morceaux
sont
tombés
des traces
plus
marquées ;
dans le corps du père les traces qu’on ne voit pas, la poussière
qui s’est infiltrée dans les poumons, la maladie, la silicose qui
fait tousser, cracher, qui empêche de respirer ; sur le corps
du père, les traces que l’on voit, les cicatrices sur le pouce et
sur le genou, dus à des accidents du travail, ces tatouages bleus,
ces tatouages
involontaires, marques laissées dans la peau par la poussière de
charbon, insinuées dans des écorchures, des égratignures. Ces
cicatrices bleues racontaient son histoire, une histoire, celle d’un
peuple de travailleurs solidaires et combatif dont certains
voudraient effacer le souvenir.
La
fermeture des
puits,
comme
un
deuil, vint
ensuite la
nostalgie
d’une époque
où les industries, la mine particulièrement, faisait vivre la ville
et les bourgs alentour avec leurs écoles, leurs commerces, leurs
églises, enfin la colère
contre ces industries polluantes et leurs conséquences sur la santé
des hommes et l’environnement.
Cum
memorare...
----------------------
Ce
texte a été écrit dans le cadre du cycle d'ateliers d'écriture de
l'été 2019 : «
Pousser la langue, proposition 3 | cinq fois sur le métier »
proposé par François Bon, sur le Tiers-Livre.
Mine de souvenirs, grisou de la mémoire...
RépondreSupprimer